Actu : Caracas ne répond plus (par Ashraf)

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« Une dictature, comme vous y allez ! Vous êtes bien sympathique, Dolorès, mais épargnez-moi vos analyses politiques…  Savez-vous seulement ce que c’est qu’une dictature ? Une dictature c’est quand les gens sont communistes, déjà. Qu’ils ont froid, avec des chapeaux gris et des chaussures à fermeture éclair. C’est ça, une dictature, Dolorès. »

OSS 117 : Rio ne répond plus 

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Caracas ne répond plus

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Il y a déjà bien longtemps que les propos malhonnêtes de Manuel Valls contre ses adversaires suscitent l’indignation de toutes les personnes  un tant soit peu attachées à l’honnêteté intellectuelle et à la dignité du combat politique. Cette indignation est en train de céder progressivement la place à une franche hilarité, maintenant qu’il  a perdu toute capacité de nuisance pour devenir une sorte de Jean-Vincent Placé à poils durs, qui se cramponne désespérément aux bas de pantalon du président Macron pour ne récolter rien d’autre que des coups de Berlutti dans la gueule. Si Manuel Valls était un chien, tant de cruauté à son égard nous donnerait envie de gerber. Mais comme il est le type qui nous faisait gazer et matraquer il y a tout juste un an, on ne peut s’empêcher de se dire qu’il y a là-dedans comme un juste retour des choses.

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Après avoir dénoncé des rencontres imaginaires entre Clémentine Autain et Tariq Ramadan (probablement parce qu’il avait pris au sérieux une galéjade de Joann Sfar dans son roman Le Niçois), après avoir approuvé les délires de ses supplétifs Malek Boutih et Loubna Méliane sur  les accointances de Benoît Hamon avec les indigènes de la république, après avoir déliré sur « La France insoumise, qui se compromet avec l’islam politique voire avec les islamistes », le voilà qui s’attaque au gouvernement vénézuélien, en twittant : « Ce qui se passe au Vénézuela (sic) impose une réaction très ferme. Maduro cherche à imposer une dictature. La communauté internationale doit réagir ».

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« Les grands médias français à la solde des puissances d’argent et la radio d’Etat se relaient pour réclamer la tête de Maduro »

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Le fait qu’il soit incapable d’orthographier correctement le mot « Venezuela » ne le fera pas taire. Notre homme a une solide colonne vertébrale idéologique, ce qui lui évite de perdre son temps à se documenter sur la situation sur place. Il sait que la gauche ne saurait être moderne qu’en prenant systématiquement parti pour tous les Jupiter contre tous les Prométhée. Quand on lui parlait de l’acharnement du PS contre Cuba, notre regretté Armand Gatti disait qu’il n’y avait rien de moderne là-dedans, que c’était juste la suite du meurtre de Rosa Luxemburg par ses anciens camarades de la social-démocratie allemande. La gauche moderne de monsieur Valls, ce n’est jamais que celle des Ebert, des Noske et des Scheidemann, qui donnèrent il y a un siècle aux fascistes le goût du sang ouvrier.

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Les appels à la communauté internationale de Manuel Valls sont bien dans l’air du temps, les grands médias français à la solde des puissances d’argent et la radio d’Etat (France Inter) se relaient pour réclamer la tête de Maduro et la fin de la révolution bolivarienne, quitte à raconter n’importe quel bobard.

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Manuel Valls dénonce en Maduro un aspirant dictateur. Manuel Valls s’y connait en dictature : entré au début des années 80 à Amnesty international pour lutter contre les méchantes dictatures de gauche, il en démissionne avec perte et fracas quand l’organisation dénonce le recours systématique à la torture de l’Etat espagnol contre les militant-e-s basques. En matière de dictature, Manuel Valls reprend bien volontiers les idées d’OSS 117 : la dictature, c’est quand les gens sont communistes, qu’ils ont froid, avec des chapeaux gris et des chaussures à fermeture éclair. Quand l’Etat espagnol torture à grande échelle, il doit certainement s’agir d’ « art » et de « culture », comme la corrida dont notre homme est afficionado.

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Jean Dujardin dans le rôle de l’espion OSS 117

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Quelques mots sur la « dictature » vénézuélienne

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Depuis 1999, un processus politique souvent qualifié de la révolution bolivarienne se déroule au Venezuela, sous la direction du charismatique Hugo Chavez jusqu’à sa mort en 2013, puis du plus terne Nicolas Maduro ensuite.  Sans relayer la propagande US, il y aurait beaucoup à redire sur ces dix-huit années: d’abord parce qu’une révolution sans soviets ni goulags, c’est un peu comme un apéro sans Pringles ni cubi de rosé. Plus sérieusement parce que la nationalisation des hydrocarbures a plus servi à faire de la redistribution de richesse à court-terme qu’à construire un modèle économique autonome par rapport au capitalisme international. Du coup, le Venezuela a pris la crise de 2009 en pleine face, comme n’importe quel pays dépendant de ses exportations. Ensuite, parce que le « socialisme du XXIème siècle » n’a mis fin ni à la corruption, ni au clientélisme, qu’il a donné naissance à une nouvelle couche privilégiée (la « boli-bourgeoisie ») et n’a guère progressé en matière de droits des femmes (le catho de gauche Chavez, qui prétendait réconcilier Karl Marx et l’Evangile, était volontiers à la droite de Simone Veil sur cette question).

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Cela dit, il y a un moment où il faut choisir son camp : les choses étaient bien pires pour le peuple avant la révolution bolivarienne et, si le scénario d’un coup d’état d’extrême-droite se réalise, elles seront bien pires après. Pour des millions de pauvres, pour les populations indigènes, afro-descendantes et métisses, ces dix-huit années auront permis de relever la tête, de retrouver la fierté, de bénéficier elles aussi de la santé et de l’éducation. Pour la première fois depuis longtemps, un gouvernement tenait tête aux Etats-Unis et à ses intermédiaires locaux, en reprenant le contrôle de ses ressources, sans être renversé dans les  trois ans. L’échec du coup d’état de 2002 a mis fin à la malédiction de Salvador Allende, sans que Chavez ne suspende les libertés démocratiques de ses opposant-e-s comme Castro et les sandinistes l’avaient fait avant lui (c’est d’ailleurs cette tolérance que son successeur est en train de payer !). C’est ce premier succès qui a ouvert la porte aux différents gouvernements de gauche qui ont pu exercer le pouvoir durablement dans plusieurs pays du sous-continent à partir de 2005 (jusqu’à ce qu’Obama ressorte le gros bâton contre le Honduras en 2010).

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« En appelant la population à élire une assemblée constituante, Maduro espérait favoriser une sortie de crise. »

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Si les couches le plus pauvres, qui doivent le peu qu’ils ont à la révolution, restent fidèles à Maduro, les classes moyennes blanches ont vu leur train de vie s’effondrer depuis cinq ans. Elles se laissent de plus en plus entraîner par la démagogie de l’opposition d’extrême-droite, qui cherche à semer le chaos et l’insécurité, et attise le feu pour en tirer les marrons. En appelant la population à élire une assemblée constituante, Maduro espérait favoriser une sortie de crise. Mais ses adversaires n’ont aucune envie de sortir de la crise. Ils/elles veulent la lutte à mort. Leur objectif est d’amener l’armée à renverser le président démocratiquement élu. Et ils/elles se savent soutenus par les USA, par l’Europe, et last but not least par Manuel Valls qui n’est pas du genre à laisser sa part aux vautours. Et quand en début de la semaine dernière deux des principaux meneurs d’extrême-droite ont été placés en résidence surveillée, les larmes des crocodiles ont fait déborder le marigot. Il pleut sur Caracas.

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Loin de Caracas

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A quelques heures d’avion d’ici, entre Europe et Asie il y a un pays dont le dirigeant charismatique se fait constamment réélire depuis 2003, au terme de scrutins de plus en plus discutables. Un pays qui détient le record mondial de journalistes emprisonnés, et où 70% de la presse écrite appartient  à des hommes d’affaire liés au président ou au parti au pouvoir. Un pays où, depuis quelques années le pouvoir à progressivement renforcé son emprise sur la société civile par une stratégie de la tension, en suscitant dans la partie de la population qui lui reste fidèle un climat de haine contre de supposés ennemis intérieurs.  Un pays où, depuis un an, plus de 50 000  personnes ont été arrêtées et où plus de 150 000 autres ont été limogées ou suspendues de leur fonction dans l’armée, l’administration et le secteur privé, souvent interdites de quitter le pays et donc réduites à la misère. Un pays où on libère des violeurs et des assassins pour enfermer des innocent-e-s dont le seul crime est d’avoir signé une pétition en faveur de la paix, porté un t-shirt ou commandé une pizza au mauvais endroit.  Un pays où Amnesty international est considéré comme une organisation terroriste. Un pays où l’armée  fait la guerre à sa propre population et jouit d’une impunité totale. Cette semaine par exemple, des militaires se sont amusés à forcer des réfugiés syriens à porter des sous-vêtements de femme et ont posté les photos sur les réseaux sociaux. Car bien entendu, ce n’est pas de la Syrie dont nous parlons ici. Ce n’est pas non plus du Venezuela ni d’une de ses dictatures où les gens sont communistes et portent des chaussures à fermeture éclair, sans quoi nos médias s’en ferait quotidiennement l’écho et Manuel Valls appellerait depuis longtemps à une réponse ferme de la communauté internationale. Mais grâce à Dieu dans ce pays les communistes sont en prison et ne risquent pas d’en sortir, donc personne ne cherche à y instaurer de dictature. C’est juste un brave pays capitaliste qui fait docilement son travail de sous-traitant low cost pour les multinationales US et européennes, un membre historique de l’OTAN avec lequel la France vient justement de conclure une importante vente d’armement. Autant dire un modèle de stabilité politique. L’Ordre règne. Les peuples heureux n’ont pas d’histoire.  

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Ashraf

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