Article/ Hommage : Jean-Marc Le Bihan, celui qui chantait « Je crie parce que je suis » n’est plus.. (par Sacha)

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Samedi 3 août dernier, notre ami Jean-Marc Le Bihan, chanteur engagé, poète, et osons le dire homme politique (anarcho-communiste), nous a quittés. Il a été inhumé au cimetière de la Croix-Rousse accompagné de sa famille et de ses (très) nombreux amis. Avec son départ, nous perdons l’un des artistes contemporains les plus engagés de l’Hexagone, mais aussi une plume à l’égale de celles d’un Léo Ferré, d’un Brel, ou d’un Marc Ogeret.

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Printemps de Bourges 1983

J’ai eu la chance de le connaître alors que je n’étais qu’un enfant. Aussi loin que mes souvenirs du quartier de la Croix-Rousse (Lyon 4e) me ramènent, Jean-Marc Le Bihan a toujours occupé le terrain. Sur le marché, dans son bar au Coeur des Gens, dans les bistrots du quartier, les salles associatives, lors des rassemblements, etc. Avec mes yeux de gosse, je le voyais comme un homme en colère s’énervant contre son public entre chaque chanson. Puis, avec le temps, j’ai compris que celui qui disait que « l’homme n’est pas à la hauteur de son Humanité » avait au contraire une foi aveugle en l’Humain. Bien entendu , il n’était pas en colère contre son public, il tentait simplement d’éveiller les consciences avec ses « coups de gueule ». Sa rage quant à elle, était dirigée contre ce système capitaliste qui permet aux riches d’écraser les pauvres.

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Au début des années 2000, grâce à mon père, j’ai découvert son café-théâtre le Cœur des Gens situé place Colbert dans le 1er arrondissement de Lyon. Ironie du sort, cette place a été construite au-dessus de la Cour des Voraces, qui fût le repère de sociétés secrètes révolutionnaires lors de la Révolte des Canuts. C’était un lieu chaleureux imprégné de l’art contestataire des années 80/90. Il voulait en faire un lieu de spectacle et de débat, mais surtout rassembler et être proche des « gens ». Son plus grand regret, fût de perdre quelques années plus tard, son bar. C’est sur la place de son ancien « chez lui » qu’entre 300 et 500 personnes se sont recueillies pour lui rendre un dernier hommage en chansons, avant qu’il n’aille rejoindre les copains au cimetière de la Croix-Rousse.

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« L’homme n’est pas à la hauteur de son Humanité »

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A l’occasion d’une interview, je lui avais demandé si il se voyait comme un poète contemporain, il me répondit : « je ne suis pas un poète mais plutôt un chansonnier, car je décris ce que je vois [..] un observateur, et quelqu’un d’engagé. Dans la rue, je pose le décor et je dis ce que j’ai à dire [..] je ne sais pas qui est qui». Mais malgré cela, et qu’il le veuille ou non, c’est bien un grand poète à la charnière entre ce début de siècle et le siècle précédant que nous avons perdu. Ses textes, en plus d’en envoyer du lourd, étaient structurés comme de la poésie. En (ré-)écoutant ses chansons, les amateurs du genre retrouveront quatrains, rimes, anaphores, structures de texte, etc.

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Le nouveau Messie de la Gauche ?

Tout au long de sa vie, il n’aura cessé de dénoncer les petits salaires des infirmières, la condition de vie des migrants et des SDF, l’isolement des pauvres, l’acharnement médiatique et juridique des politiques sur les plus fragiles, les violences faites aux femmes, le racisme, les inégalités sociales, etc. Ses diatribes étaient des pains dirigés dans la gueule de l’ensemble de la classe politique française, impotente et bien assise sur ses acquis. A ses yeux, ce sont eux les vrais profiteurs du système.. Il était scandalisé par le pouvoir des réacs de droite et d’extrême-droite. Il voulait aiguiser notre esprit critique et nous apprendre à se défendre intellectuellement face à un système abrutissant et infantilisant.

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Tout à son honneur, il a refusé très tôt d’appartenir au monde du show-biz qui s’ouvrait à lui. Jean-Marc, a préféré appartenir au monde réel qu’au monde des paillettes, du m’as-tu-vu et du champagne. Il détestait le « star-système » et s’indignait en voyant les millions d’euros gaspillés dans les galas, shows télévisés, garden-party, salaires de footballeurs, etc. Il s’en prenait régulièrement aux Enfoirés en nous faisant constater qu’aucun SDF n’était conviés à participer à leurs concerts et galas..

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En parlant d’enfoirés.. Je me rappelle enfant, de dizaines de personnes s’arrêtant au marché pour apprécier ses chants et pamphlets. Dans les années 2010, à l’image d’une Croix-Rousse boboisée et gentrifiée bien loin de ce que fut l’un des plus beaux quartiers ouvrier de Lyon, seule une poignée de personne ne prenait le temps de l’écouter. La majorité des passants préférant détourner le regard, par culpabilité, je-men-foutisme, ou indifférence sans doute…

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En parallèle de cette défection croix-roussienne, Jean-Marc s’était refait une jeunesse ces dernières années grâce à son bagout et sa promiscuité avec son public. Son intarissable envie de voyager lui permit d’être présent dans de nombreux événements militants ou musicaux de province et de Navarre. De plus, sa présence sur internet le rapprocha d’un public plus jeune et hétérogène.

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Je fus agréablement surpris de le retrouver entouré de centaines de spectateurs dans les allées de la Fête de l’Humanité à la Courneuve. Voir tout ce monde pendu à ses lèvres était jubilatoire. Je ne savais pas encore que c’était un rituel pour lui depuis plus de 40 ans.. Accompagné de son fidèle ami Daniel Duroy, il animait chaque année le stand du PCF de l’Ariège. Jean-Marc était perçu à l’Huma comme un grand homme de gauche, à la fois chanteur et homme politique.

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Profondément encré à gauche, il aura soutenu toute sa vie la classe ouvrière”

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Autre lieu incontournable pour notre artiste, le festival d’Aurillac. Haut-lieu des arts de rue durant le mois d’août, Jean-Marc Le Bihan sévissait parmi les nombreux saltimbanques présents pour l’occasion, comme notamment nos complices Exedezel et Slameur Piéton. Pour tout vous avouer, là bas aussi, Jean-Marc faisait fureur. L’intervention qui restera gravée dans les mémoires sera celle du 24 août 2013 retranscrite sur Youtube (voir ci-dessous). Filmée par un membre du public, elle cartonne encore aujourd’hui sur les réseaux sociaux..

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A Lyon, à l’image du dernier des Mohicans, il n’aura jamais manqué un défilé du 1er mai et chantait pleins poumons, malgré son combat prolongé contre la maladie, en fin de manif sur la place Bellecour. Profondément enraciné à gauche, il aura soutenu toute sa vie la classe ouvrière. L’année dernière, il n’était pas là et aucun artiste n’était présent pour le remplacer. 

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Je retiendrai toujours de lui ce qu’il adorait clamer haut et fort dans les différentes Fêtes de l’Huma de province : Je suis anarcho-communiste, c’est-à-dire que je suis anarchiste pour faire chier les communistes, et je suis communiste pour faire chier les anarchistes” . Avec lui, c’en était fini des guéguerres de chapelles, il était fédérateur. Jean-Marc Le Bihan, c’était à la fois l’amour des gens d’une Louise Michel avec la gueule et le coffre d’un Jean-Jaurès. Celui qui chantait « Je crie parce que je suis » n’est plus, mais son combat, sa transmission et ses chansons sont éternels.

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Tu nous manqueras camarade.

Sacha

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Pour aller plus loin :

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La biographie de Jean-Marc Le Bihan : http://jeanmarc.lebihan.free.fr/pages/biographie.htm

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Quelques titres et chansons en ligne : 

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