ITW de Rémy Dumont et Eric Schaal, auteurs du documentaire « Écrou 667976 – Fresnes / Septembre 1977 » (par Sacha)

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Interview de Rémy Dumont et Eric Schaal, auteurs du documentaire :

« Écrou 667976 – Fresnes / Septembre 1977 »

Rémy Dumont et Éric Schaal, anciens militants antimilitaristes, écologistes et pacifistes, nous invitent à découvrir leur documentaire « Écrou 667976 – Fresnes / Septembre 1977 ». À travers cette interview, ils nous plongent dans les trois mois d’emprisonnement d’Éric pour « insoumission », c’est-à-dire le refus de faire son service militaire. Le film offre ainsi une occasion précieuse de (re)découvrir les mouvances, les combats et l’état d’esprit des jeunes militants de l’époque, ainsi que la réalité de l’enfermement imposé à ceux qui refusaient de se soumettre. C’est également l’opportunité de mieux connaître l’association Tutella Prod et son fondateur, Rémy Dumont.

1 – Avant d’évoquer l’histoire d’Éric Schaal, pouvez-vous vous présenter, Rémy Dumont ? Quel est votre parcours militant et artistique ? Pouvez-vous également nous présenter votre « label » : Tutella Prod ?

Rémy Dumont : Tutella Prod est une association loi 1901 à but non lucratif créée en janvier 2006 (RNA/W691063141) dédiée à la création, à la réalisation ainsi qu’à la production d’œuvres audiovisuelles et plus particulièrement cinématographiques. Tous les projets sont conduits par des bénévoles (réalisateurs, acteurs, techniciens, etc.) depuis leur source jusqu’à leur finalisation. Concernant la production, le statut ou label et le copyright sont placés sous la licence « Creative Commons Attribution Pas d’Utilisation Commerciale Pas de Modification 3.0 France », qui stipule : la reconnaissance pour les auteurs de la propriété de leurs œuvres, le libre partage sans restriction, le droit de réutilisation partielle pour tout participant dans un but personnel ou promotionnel et la nécessité d’un accord pour toute citation et pour toute projection publique ou privée. En qualité de président de l’association, je suis moralement et juridiquement responsable de tous les aspects relatifs à la production. Hors champ de tous rapports commerciaux ou financiers, d’ailleurs interdits, l’association ne compte pas de membres mais des participants se joignant aux projets librement et spontanément. Le libre partage par tout moyen existant (courriel, réseaux sociaux) est notre vœu le plus cher !

Concernant mon parcours artistique, j’ai évolué et appris sur le terrain en autodidacte, avec les réalisateurs des premiers projets, pour devenir à mon tour, plus tard, réalisateur. Je touche un peu à tout. Je suis scénariste, acteur, monteur, voix off par exemple. Je suis également auteur (poésie, théâtre, essais critiques, science-fiction, scénarios) et j’ai eu la chance de rencontrer autrefois quelques personnages qui m’ont marqué (par exemple, le poète Pierre Torreilles, un grand ami de René Char).

Mon parcours militant n’a pas été constant, procédant par éclipses, et ma position est davantage philosophique qu’active, bien qu’ayant participé et participant encore parfois à certaines actions. Dans les années 70, j’ai participé aux luttes antimilitaristes, à celle du Larzac, du Chili (dictature de Pinochet), de l’Espagne (dominée par Franco) par exemple… Je précise que je suis pacifiste. Mes publications (livres) exposent pour certaines d’entre elles des idées, des points de vue critiques et personnels empreints de militantisme. 

 

2 – Vous venez de réaliser un documentaire mis en ligne intitulé Écrou 667976 – Fresnes / Septembre 1977, qui traite de l’insoumission et des objecteurs de conscience. Pouvez-vous, en quelques lignes, définir ces deux concepts ?

Éric Schaal : Quand on choisit de refuser le service militaire en 1977, il n’y a que deux options : la coopération (réservée à une élite estudiantine qui dispose de compétences de haut niveau utiles dans un pays étranger ami de la France) et le statut d’objecteur de conscience.
Ce statut, en France, a été obtenu par la lutte de Louis Lecoin, évoquée brièvement dans le documentaire.
Ce statut est né en 1963, mais cette notion est mondiale dans la plupart des pays démocratiques.
Les objecteurs reconnus ne portent ni les armes ni l’uniforme et effectuent un service civil dévolu à des tâches reconnues d’intérêt social ou public.
Limitations – Exemple dans le statut américain : « Les convictions qui permettent à un homme inscrit d’obtenir le statut d’objecteur de conscience peuvent être de nature religieuse, mais ce n’est pas obligatoire. Les convictions peuvent être morales ou éthiques. Cependant, les raisons pour lesquelles un homme ne veut pas participer à une guerre ne doivent pas être basées sur la politique, l’opportunisme ou l’intérêt personnel ».
En France, en 1977, certains objecteurs, après avoir été reconnus, devenaient ensuite insoumis au statut.
Les « insoumis totaux » refusaient tout, tout de suite, et risquaient le maximum : deux ans de prison ferme.
Leurs motivations ? Question de tempérament ou de cohérence : les raisons étaient philosophiques, religieuses ou politiques.

 

3 – Le documentaire raconte le parcours d’Éric Schaal, prisonnier à Fresnes pour insoumission et refus de service militaire. Avant d’évoquer les raisons de son emprisonnement, pourriez-vous dresser un portrait de ce jeune militant de 1977 ? Il se disait citoyen du monde : est-il possible d’en toucher deux mots ?

Éric Schaal : À cet âge, j’étais surtout idéaliste, d’où cet engagement bref dans les Citoyens du Monde, association qui proclamait bien haut son désir de s’affranchir des frontières et souhaitait l’avènement d’une assemblée constituante pour créer un parlement mondial, mais aussi promouvoir l’usage de l’espéranto, par exemple. Cette association a pris son essor en 1945 avec l’Américain Gary Davis, rejoint par Albert Camus, André Gide, Jean-Paul Sartre, André Breton, l’abbé Pierre, etc. Je suis devenu ensuite anarchiste et antimilitariste (c’est là que j’ai rencontré le groupe d’action et de résistance à la militarisation), autour de sujets tels que la dénonciation des dictatures au Chili et en Argentine, le soutien des paysans du Larzac, des ouvriers autogestionnaires de Lip et encore le combat antinucléaire. Je faisais partie de la mouvance non-violente (ce qui n’était pas le cas de tous les insoumis), abonné à des journaux comme Combat non-violent puis La Gueule ouverte. C’est en participant à des manifestations de soutien aux insoumis lyonnais qu’a germé en moi l’idée de le devenir aussi quand ce serait à mon tour d’être appelé au service militaire.


4 – Pourquoi refuser de faire son service militaire à l’époque était-il passible d’emprisonnement ? Dans le documentaire, la guerre d’Algérie est évoquée à plusieurs reprises : quel lien existe-t-il entre cette guerre, l’insoumission et les objecteurs de conscience ?

Éric Schaal : Deux délits menaçaient les insoumis : le délit d’insoumission (le fait de ne pas se rendre à une caserne lors de l’appel sous les drapeaux), passible d’un an de prison, et le refus d’obéissance, caractérisé par le refus de l’uniforme, également passible d’un an de prison. Ces deux délits ne se confondaient pas, mais se cumulaient bizarrement. La fin de la guerre d’Algérie (1962) était à cette époque un événement naturellement très proche. Cette guerre, avec ses horreurs (les massacres, les emprisonnements, les viols, la torture), a été pour nous l’équivalent de la guerre du Vietnam pour les jeunes Américains. Cependant, je n’avais que 8 ans en 1962.

 

5 – Pourquoi Éric Schaal a-t-il été incarcéré à la prison de Fresnes, en banlieue parisienne, et non dans la région lyonnaise ? Combien de temps a duré son emprisonnement ?

Éric Schaal : Je suis arrêté en faisant du stop à Chartres pour me rendre en Bretagne en vacances. Les gendarmes m’amènent à la caserne Dupleix à Paris. C’est le lieu de l’arrestation qui détermine l’autorité compétente, et non le lieu de résidence. Pas une affaire ! La jurisprudence de la région militaire de Paris était plus sévère que celle de Lyon. La région militaire la plus dure était celle de Metz. Je suis arrêté le 15 août 1977. Je passe 15 jours d’abord aux arrêts de rigueur de la caserne. J’entame une première grève de la faim de 8 jours, puis je suis transféré à la prison de Fresnes (division militaire) où je cesse cette grève que je décide de reprendre 30 jours plus tard. Je suis alors conduit en quartier d’isolement, au mitard. J’y reste 3 semaines. Je suis ensuite conduit à l’hôpital-prison de Fresnes où je continue ma grève de la faim. Enfin, après avoir été conduit à l’hôpital militaire Percy, je cesse ma grève de la faim (celle-ci, la deuxième, ayant duré 29 jours), comme « une solution » (la réforme psychiatrique) avait été décidée.

Chaque jour était une déchirure.

Je suis libéré le 11 novembre, après 3 mois de privation de liberté. Au procès, en 1978, je suis condamné à 20 mois de prison avec sursis.

 

6 – Durant son incarcération, il semble avoir bénéficié de nombreux soutiens, notamment de militants des Droits de l’Homme, y compris à l’international. Pouvez-vous nous en parler ?

Éric Schaal : Il ne s’agit pas de militants des Droits de l’Homme, mais d’Amnesty International, qui a reçu justement le prix Nobel en 1977. J’avais été soutenu par eux, par un groupe allemand, mais surtout par une militante parisienne, Madeleine Lemarié, au secrétariat international, chargée de la question de l’objection de conscience et des insoumis. C’était une grand-mère merveilleuse, née en 1902. Je lis une de ses lettres, très émouvante, dans le film.

J’ai reçu plus de cent lettres de soutien durant mon incarcération, auxquelles j’ai presque toutes répondu.

 

7 – Vous-même avez soutenu votre camarade et avez décidé, avec un groupe d’insoumis, de mener une action médiatique dans les locaux de FR3 région. Même si cela est longuement évoqué dans le documentaire, pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

Rémy Dumont : Je dirais que l’issue d’une telle action ne se serait pas soldée de nos jours de la même manière, à savoir que nous avons été relâchés du commissariat en fin de soirée puis relaxés un an plus tard au procès. Ce point me paraît important. Qui plus est, cette action a été concoctée spontanément lors d’une concertation à la fois déterminée et amicale, suivie d’effets immédiats. J’ai participé à des réunions du groupe insoumission et aussi à certaines manifestations constituées d’un petit groupe, décidées sur un coup de tête, non autorisées bien sûr, et qui se terminaient parfois par un petit tour au commissariat local (avec de fortes secousses, sans en dire plus, au moment de l’arrestation). Cela pourra peut-être paraître étonnant à l’heure actuelle, par les temps qui courent, mais bon, autres temps, autres mœurs, comme on dit ! On fonctionnait comme ça à l’époque.

 

8 – Plus sombre, Éric Schaal a entamé une grève de la faim durant son incarcération. Cette action a été considérée comme une rébellion et lui a valu d’être placé en isolement pendant une longue période. Pourquoi un tel acharnement ? Son état de santé s’est sévèrement dégradé durant cette période : pourriez-vous nous en parler ?

Éric Schaal : La grève de la faim est un combat, le dernier que l’on peut tenir en isolement, haut symbole de la non-violence. Par certains aspects, elle peut se comparer à une performance sportive, qui peut tourner mal.

 

9 – Dans le documentaire, vous faites un parallèle avec la bande à Baader et les Brigades Rouges. Pourtant, la méthode d’action des Insoumis et Objecteurs de Conscience diverge : la non-violence. Pouvez-vous expliquer ce concept, en donnant des exemples concrets comme votre action à FR3.

Rémy Dumont et Éric Schaal :

L’évocation de la bande à Baader découle d’un commun accord du choix de faire référence à l’actualité internationale dans le documentaire : nous n’approuvons pas ce mouvement ni ses actions, nous répétons que nous sommes non-violents.

En effet, l’action de FR3 a été menée rigoureusement dans cet esprit.

 

10 – Enfin, j’aimerais avoir votre point de vue, ainsi que celui d’Éric Schaal, sur la situation mondiale actuelle (Ukraine, Palestine, Yémen, etc.).

Rémy Dumont : « Si tu veux la paix, prépare la paix et non la guerre », énonce Patrice Bouveret de l’Observatoire des armements dans l’interview qui clôture notre documentaire. La situation mondiale est cruelle et lamentable. Il y a d’un côté des scientifiques, des chercheurs, des auteurs, des artistes, des lanceurs d’alerte, des militants, des résistants, qui œuvrent chacun à leur manière pour une évolution positive, pour un monde meilleur de progrès, de maturité, d’harmonie et de paix. De l’autre côté, il y a les guerres de plus en plus nombreuses, avec à leur tête ces immatures que sont tyrans, financiers, politiciens corrompus, tous avides de pouvoir et de richesses quoi qu’il en coûte, dans le déni de toute éthique. Que ce soit en Palestine, en Ukraine, au Yémen, ou aussi hors du champ médiatique auquel nous sommes formatés par les médias et la télévision (Soudan, Birmanie, etc.), notre position est simple : non aux guerres et aux sacrifices humains !

« Il faudra grandir sur le chemin de l’esprit » (Emmanuel Delattre). On en est loin, et nous n’en prenons pas le chemin !

Éric Schaal : « Pour parler de la guerre, il n’y a que des larmes » (Henriqueta Lisboa).

 

Site Internet : http://www.tutellaprod.com/

Chaîne Youtube : https://www.youtube.com/@tutellaprod

Contact : dumont[a]tutellaprod.com

 

Propos recueillis par Sacha

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Title: Interview de Rémy Dumont et Eric Schaal, auteurs du documentaire « Ecrou 667976 Fresnes Septembre 1977 » Description: Découvrez l’interview de Rémy Dumont et Eric Schaal, auteurs du documentaire « Ecrou 667976 Fresnes Septembre 1977 ». Author: Foutou’Art DatePublished: 2024-12-11T08:00:00+00:00 URL: https://foutouart.fr/interview-de-remy-dumont-et-eric-schaal-auteurs-du-documentaire-ecrou-667976-fresnes-septembre-1977-par-sacha/

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