Jean-Marc Le Bihan, celui qui chantait « Je crie parce que je suis » n’est plus.. (par Sacha)
Jean-Marc Le Bihan, celui qui chantait «Je crie parce que je suis» n’est plus...
Samedi 3 août dernier, notre ami Jean-Marc Le Bihan, chanteur engagé, poète, et osons le dire homme politique (anarcho-communiste), nous a quittés. Il a été inhumé au cimetière de la Croix-Rousse accompagné de sa famille et de ses (très) nombreux amis. Avec son départ, nous perdons l’un des artistes contemporains les plus engagés de l’Hexagone, mais aussi une plume à l’égal de celles d’un Léo Ferré, d’un Brel, ou d’un Marc Ogeret.
J’ai eu la chance de le connaître alors que je n’étais qu’un enfant. Aussi loin que mes souvenirs du quartier de la Croix-Rousse (Lyon 4e) me ramènent, Jean-Marc Le Bihan
a toujours occupé le terrain. Sur le marché, dans son bar au Cœur des Gens, dans les bistrots du quartier, les salles associatives, lors des rassemblements, etc. Avec mes yeux de gosse, je le voyais comme un homme en colère s’énervant contre son public entre chaque chanson. Puis, avec le temps, j’ai compris que celui qui disait que « l’homme n’est pas à la hauteur de son Humanité » avait, au contraire, une foi aveugle en l’Humain. Bien entendu, il n’était pas en colère contre son public, il tentait simplement d’éveiller les consciences avec ses « coups de gueule ». Sa rage, quant à elle, était dirigée contre ce système capitaliste qui permet aux riches d’écraser les pauvres.
Au début des années 2000, grâce à mon père, j’ai découvert son café-théâtre, le Cœur des Gens, situé place Colbert dans le 1er arrondissement de Lyon. Ironie du sort, cette place a été construite au-dessus de la Cour des Voraces, qui fut le repère de sociétés secrètes révolutionnaires lors de la Révolte des Canuts. C’était un lieu chaleureux, imprégné de l’art contestataire des années 80/90. Il voulait en faire un lieu de spectacle et de débat, mais surtout rassembler et être proche des « gens ». Son plus grand regret fut de perdre, quelques années plus tard, son bar. C’est sur la place de son ancien « chez lui » qu’entre 300 et 500 personnes se sont recueillies pour lui rendre un dernier hommage en chansons, avant qu’il n’aille rejoindre les copains au cimetière de la Croix-Rousse.
« L'homme n'est pas à la hauteur de son Humanité »
À l’occasion d’une interview, je lui avais demandé s’il se voyait comme un poète contemporain. Il me répondit : « Je ne suis pas un poète mais plutôt un chansonnier, car je décris ce que je vois […] un observateur, et quelqu’un d’engagé. Dans la rue, je pose le décor et je dis ce que j’ai à dire […] je ne sais pas qui est qui. » Mais malgré cela, et qu’il le veuille ou non, c’est bien un grand poète, à la charnière entre ce début de siècle et le siècle précédent, que nous avons perdu. Ses textes, en plus d’en envoyer du lourd, étaient structurés comme de la poésie. En (ré)écoutant ses chansons, les amateurs du genre retrouveront quatrains, rimes, anaphores, structures de texte, etc.
Tout au long de sa vie, il n’aura cessé de dénoncer les petits salaires des infirmières, la condition de vie des migrants et des SDF, l’isolement des pauvres, l’acharnement médiatique et juridique des politiques sur les plus fragiles, les violences faites aux femmes, le racisme, les inégalités sociales, etc. Ses diatribes étaient des pains dirigés dans la gueule de l’ensemble de la classe politique française, impotente et bien assise sur ses acquis. À ses yeux, ce sont eux les vrais profiteurs du système. Il était scandalisé par le pouvoir des réacs de droite et d’extrême-droite. Il voulait aiguiser notre esprit critique et nous apprendre à nous défendre intellectuellement face à un système abrutissant et infantilisant.
Tout à son honneur, il a refusé très tôt d’appartenir au monde du show-biz qui s’ouvrait à lui. Jean-Marc a préféré appartenir au monde réel plutôt qu’à celui des paillettes, du m’as-tu-vu et du champagne. Il détestait le « star-système » et s’indignait en voyant les millions d’euros gaspillés dans les galas, shows télévisés, garden-parties, salaires de footballeurs, etc. Il s’en prenait régulièrement aux Enfoirés en nous faisant remarquer qu’aucun SDF n’était convié à participer à leurs concerts et galas.
En parlant d’enfoirés… Je me rappelle, enfant, les dizaines de personnes s’arrêtant au marché pour apprécier ses chants et pamphlets. Dans les années 2010, à l’image d’une Croix-Rousse boboisée et gentrifiée, bien loin de ce qu’était l’un des plus beaux quartiers ouvriers de Lyon, seule une poignée de personnes prenait encore le temps de l’écouter. La majorité des passants préférait détourner le regard, par culpabilité, je-m’en-foutisme ou indifférence, sans doute…
événements militants ou musicaux, en province et en Navarre. De plus, sa présence sur internet le rapprocha d’un public plus jeune et hétérogène.
Je fus agréablement surpris de le retrouver entouré de centaines de spectateurs dans les allées de la Fête de l’Humanité à la Courneuve. Voir tout ce monde, pendu à ses lèvres, était jubilatoire. Je ne savais pas encore que cela faisait plus de 40 ans que c’était un rituel pour lui. Accompagné de son fidèle ami Daniel Duroy, il animait chaque année le stand du PCF de l’Ariège. Jean-Marc était perçu à l’Huma comme un grand homme de gauche, à la fois chanteur et homme politique.
"Profondément encré à gauche, il aura soutenu toute sa vie la classe ouvrière"
Autre lieu incontournable pour notre artiste : le festival d’Aurillac. Haut lieu des arts de rue durant le mois d’août, Jean-Marc Le Bihan sévissait parmi les nombreux saltimbanques présents pour l’occasion, comme nos complices Exedezel et Slameur Piéton. Pour tout vous avouer, là-bas aussi, Jean-Marc faisait fureur. L’intervention qui restera gravée dans les mémoires est celle du 24 août 2013, retranscrite sur YouTube (voir ci-dessous). Filmée par un membre du public, elle cartonne encore aujourd’hui sur les réseaux sociaux.
À Lyon, à l’image du dernier des Mohicans, il n’aura jamais manqué un défilé du 1er mai et chantait à pleins poumons, malgré son combat prolongé contre la maladie, en fin de manif sur la place Bellecour. Profondément enraciné à gauche, il aura soutenu toute sa vie la classe ouvrière. L’année dernière, il n’était pas là, et aucun artiste n’a pu le remplacer.
Je retiendrai toujours de lui ce qu’il adorait clamer haut et fort dans les différentes Fêtes de l’Huma de province : « Je suis anarcho-communiste, c’est-à-dire que je suis anarchiste pour faire chier les communistes, et je suis communiste pour faire chier les anarchistes. » Avec lui, c’en était fini des guéguerres de chapelles ; il était fédérateur. Jean-Marc Le Bihan, c’était à la fois l’amour des gens d’une Louise Michel avec la gueule et le coffre d’un Jean Jaurès. Celui qui chantait « Je crie parce que je suis » n’est plus, mais son combat, sa transmission et ses chansons sont éternels.
Tu nous manqueras camarade.
Sacha
Pour aller plus loin
La biographie de Jean-Marc Le Bihan : http://jeanmarc.lebihan.free.fr/pages/biographie.htm
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