La Plume du Coq : Le traumatisme mexicain
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La Plume du Coq s’acoquine avec Foutou’art pour nous régaler de leur prose débridée, leur philosophie mordante et leur écriture à mourir de rire, grivoise et sans filtre ! Un grand merci à eux pour ce vent de fraîcheur créatif dans nos colonnes.
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Le traumatisme mexicain
Ma grand-mère le disait : l’argent n’a pas d’odeur. Il n’y a rien de plus vrai que cette sentence. Encore que cela dépende…
Pecunia non olet, disait l’empereur Vespasien, bien avant ma mémé, lui qui avait décidé de taxer les urines. Et c’était juste : les caisses de Rome se sont renflouées sans que la moindre odeur de pisse ne trahisse l’origine de la richesse. Ne nous moquons point trop de la créativité du Romain, car nos jours ne sont pas à l’abri d’un élan créatif similaire de la part du Palois de Matignon.
Alors oui, l’argent ne sent que sa propre matière. Je ne connais pas les effluves de l’or fraîchement extrait de sa mine, ni du cuivre ni de l’étain. J’ignore tout du fumet d’un coffre de banque et je ne crois pas que les valeurs immobilières dégagent quoi que ce soit d’olfactif. Je sais cependant l’odeur du papier et de l’encre sur les billets tout juste tirés du distributeur. Et cela sent bon. C’est cela, l’odeur de l’argent pour moi. Pour l’instant.
L’argent n’a pas d’odeur, répétait pourtant ma grand-mère, comme un mantra dans son fauteuil. La bave aux lèvres, elle répétait : « Pas d’odeur, pas d’odeur… L’argent n’a pas d’odeur… pas d’odeur… » Pour l’argent, je m’étais fait mes petites idées, mais la mémé, elle, elle avait une odeur. Pas de doute. Comment la décrire ? Ce n’était pas la mort. Non. Pas encore. Alors oui, l’odeur de la mort n’était pas loin. On dirait même qu’elle se préparait. Mais en attendant, il y avait autre chose. Comme un peu de merde coincée derrière un fagot de menthe. Comme si on avait chié dans ses pastilles Vichy, et que, goulûment, elle avait dévoré la boîte. Enfin ! Allons, allons ! Ne laissons pas croire que ce n’était que l’haleine ! Il faut imaginer la même cuisine dans le gel douche et le shampoing…
Enfin, l’argent, lui, n’a pas d’odeur. « Pas d’odeur, l’argent n’a pas d’odeur… », disait ma grand-mère. Elle ne disait pas grand-chose, l’ancêtre. On pouvait même dire qu’elle ne disait que ça : « l’argent n’a pas d’odeur ». Il y avait comme un traumatisme. Un PTSD : post-traumatic stress disorder. Un machin savant que les médecins utilisaient pour nous expliquer l’état de la vieille. Comme si ça expliquait quoi que ce soit. Comme si on était capables de comprendre, d’ailleurs. Comme si on en avait quelque chose à foutre, surtout. Enfin, nous aussi, on jouait les polis : « Ouais, bien sûr, un PTSD, bien sûr. Alors maintenant, comme ça, c’est bien : on sait. Merci, docteur. » Les diplômes aussi, ça n’a pas d’odeur, mais ça ressemble à l’argent : quand on en a plus que les autres, ça finit quand même par se sentir, et ce n’est agréable pour personne.
« Pas d’odeur… Pas d’odeur… », disait ma grand-mère, « sauf une fois », ajouta-t-elle soudainement dans un inattendu surplus syntaxique !
– Mémé, incroyable, tu causes ?
– Bien sûr, mon piozou !
Là-dessus, elle me scruta, histoire d’étudier le physique de son petit-fils comme après vingt ans d’absence. En l’occurrence, une absence toute psychiatrique : la sienne.
– Fais attention avec ta banane sur le ventre, tu pourrais te la faire prendre par un malotru !
Je l’écoutais, fasciné, car c’était un miracle, en même temps que je cherchais un médecin du regard. Elle continua :
– Au Mexique, avec ma copine Ginette, on avait peur des pickpockets, alors on a employé une méthode que nous avait enseignée sœur Suzon pendant la guerre, durant notre internat au couvent des Ursulines.
Je profitai de ce qu’elle se lançait dans un nouveau délire pour me faire une réflexion à moi-même, sous la forme d’une remontrance. Car finalement, je comprenais encore moins bien le charabia de la malade que celui des soignants.
– C’est bien, mémé, c’est super, même ! Il y a un médecin ? Eh ho ?
– On mettait tous nos petits sous dans une banane, et on mettait la banane dans le slip !
– Ola ! Docteur ?
– Mais les pickpockets avaient développé des contre-mesures et avaient appris à voler les bananes, même dans les slips !
– C’est complètement incroyable, mémé… Docteur ?
– Alors, avec ma copine Ginette, on avait aussi décidé de faire évoluer nos stratégies et d’aller plus loin. On a employé une technique que nous avait apprise le père Josan, pendant notre internat, au monastère des Ursulins. Plus de banane : on se mettait les petits sous directement dans le trou d’balle ! Un par un, c’était plus amusant.
– Ça alors, grand-mère ! N’y a-t-il donc personne dans cette clinique ?!
– Alors, ma copine Ginette et moi, on riait de tout notre saoul, et on disait : « Ce n’est rien, l’argent n’a pas d’odeur ! »
Soudain, je me rendis compte que la vieille n’était pas en pleine décompensation psychotique, mais qu’elle bénéficiait d’un éclair de lucidité. Et en plus, qu’elle en profitait pour me raconter son dernier voyage, celui au retour duquel elle n’a plus jamais rien dit d’autre que cette fameuse phrase. J’avais devant moi la clé du trauma ! Je lui pris la main et plongea mon regard dans le sien. Elle avait les paupières qui avaient trop servi et même le bleu de ses yeux était délavé. Toujours belle, néanmoins.
– Bah ? Alors, mémé ! C’est une jolie… C’est une délicieuse… Enfin, c’est une sacrée histoire, quoi !
Malheureusement, à ce moment, à travers les fenêtres de son âme, je vis son esprit replonger derrière son iris, vers l’inconscient, tandis que, dans le même mouvement, la déchirure remontait à la surface. Elle revivait son trauma.
– Mais Ginette et moi…
– Mais ? Ginette et toi ?
– Mais Ginette et moi nous n’avons pas eu de problèmes avec quelques voleurs de bourses, non… Mais des types du genre rapides et peu causants… Les seules bourses qu’ils escomptaient vider étaient les leurs ! Mais nous, quoi que prévenantes, on ne parlait pas la langue ! Oh, on a bien essayé de faire quelques signes de nos doigts vers nos culs mais… ce qu’ils ont voulu y voir ce jour là était, comme qui dirait, en notre défaveur.
Alors on a chié des pesos pendant tout le reste du séjour… Incontinentes à vie… Ginette elle en a vomi quelques-uns qui ont été poussés au-delà du possible. On riait moins, car ce jour là l’argent avait une odeur… Une odeur… Non, pas d’odeur, l’argent n’a pas d’odeur… pas d’odeur…
Et voilà qu’elle repartait dans les couloirs de l’oubli… Tiens ? Mais c’est vrai ça ? Comment dit-on « attendez une minute que je me sorte tous les pesos que j’ai dans l’anus » en espagnol ? Por favor ?