Un peu d’Histoire : « La Commune de Saint-Etienne » (par David Cizeron)
Histoire
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La Commune de Saint-Etienne
Je ne sais pas si la Commune de Saint-Étienne mérite d’être mentionnée – si elle appartient à l’histoire, je veux dire une histoire digne de ce nom et non pas un récit scrupuleux d’événements superficiels fait par des nécrologues, chroniqueurs ou mémorialistes maniaques, ou des érudits locaux. Si elle ne dépend pas du mirage d’une nostalgie rouge ou noire qui se trompe trop souvent de souvenirs et désire voir, au moindre « mort aux vaches », du Kropotkine dans le geste, quitte à surévaluer ces faits minuscules dont les rapports entretenus avec l’Internationale relèvent, pour la plupart, du malentendu ou du fantasme. Pour tout dire, l’événement majeur de cette Commune stéphanoise semble être la mort d’un préfet. Encore que, la majorité des récits considère cette mort comme accidentelle – mais l’histoire est légitimiste.
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J’en viens enfin aux faits, brièvement… Il ne faut jamais oublier de délimiter le terrain de jeu au risque de se perdre dans une abstraction schématique et sans borne, et oublier de donner un quelconque support et ordonnancement chronologique, humain, factuel à l’événement. Donc : la Commune de Saint-Étienne a lieu entre le 24 et le 28 mars 1871, après plusieurs jours d’agitation croissante. Le 24 mars, une centaine de manifestants, rejoints par la Garde Nationale et la foule, investissent l’Hôtel de Ville et hissent sous la coupole le drapeau rouge.
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« La Commune de Saint-Étienne a lieu entre le 24 et le 28 mars 1871. »
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Le 25, les insurgés occupent les lieux. Ils mettent en place un comité exécutif composé d’Adrien Jolivalt, Siméon Coste, Barthélémy Dubize, Jean Thamet, Antoine Chastel, Étienne Faure, Jacques Thibaudier et Jean-Pierre Ponapt (si je relis bien mes notes). Le nouveau préfet, Henri de l’Espée, nommé le 22 mars, fraîchement arrivé et tout aussi fraîchement accueilli du fait de ses déclarations, est victime, avec deux autres personnes, d’une fusillade. L’événement, accidentel ou pas, a des répercussions immédiates ; une partie des communards, les plus timorés, se désolidarisent du mouvement. Les 26 et 27 mars, la ville est calme. Le comité exécutif tente de s’organiser – un délégué parisien, Amouroux, vient prêter main forte – et de rassurer la population. Des élections sont prévues pour le 29 mars. Les principaux points stratégiques de la ville sont occupés : gare, poudrière, télégraphe. La Défense de l’Hôtel de Ville se prépare devant l’envoi des forces régulières emmenées par le général Lavoye. Le 28 mars, à six heures, l’assaut est donné. Le baron Vital de Rochetaillée, capitaine de la garde mobile, obtient par diplomatie et sans difficulté la reddition des derniers insurgés. La Commune de Saint-Étienne rend les armes en moins d’une heure.
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Ce n’est cependant qu’à l’intérieur des contextes nationaux et locaux que ces événements, leurs débuts, leurs déroulements, leurs limites, peuvent être compris. Et seulement dans ces contextes-là. Il me semble ainsi indispensable d’évoquer deux points spécifiques concernant ce soulèvement. D’abord, l’envisager sous le principe général d’un écho (écho à la Commune parisienne et à la Commune lyonnaise), puis le replacer dans le cadre des tensions politiques locales comme symptomatique d’une fracture républicaine.
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De nombreux historiens ont comparé ou assimilé la Commune de Saint-Étienne au mouvement plus large des Communes de province : Lyon, Marseille, Le Creusot, Narbonne, Toulouse… Il est difficile de leur donner tort même si cette globalisation ravale les Communes provinciales au rang d’épiphénomènes, de feux de paille – ce qu’elles sont le plus souvent. Certes, des situations locales, notamment politiques, complexifient un peu les événements, mais ces Communes provinciales présentent nombre de similitudes, de par leur caractère éphémère, les liens qu’elles entretiennent avec la capitale, leur fébrilité devant l’« information ».
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« Les Communes de province s’apparentent à un sursaut de la République suite à l’élection d’une majorité monarchiste aux législatives du 8 février. »
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De la sorte, la Commune de Saint-Étienne est bien une fille de la Commune de Paris proclamée le 18 mars. Le temps que les nouvelles arrivent ; au compte-goutte, il faut attendre le 22 mars pour avoir enfin une idée plus précise de l’insurrection parisienne. L’effet est immédiat, par réaction : le 23 mars, proclamation de la Commune de Lyon, le 24 de Saint-Étienne – de façon spontanée et successive. C’est par voie de presse que la province s’enflamme, saisie comme par un mouvement de Grande Peur à l’envers. Car plus qu’un mouvement socialiste ou anarchiste, les Communes de province s’apparentent à un sursaut de la République suite à l’élection d’une majorité monarchiste aux législatives du 8 février, à l’Assemblée de Versailles, comme un vent glacé de terreur sur le dos des républicains. Ce qui prouve, entre autres, l’adhésion des ouvriers et du petit peuple urbain au projet républicain, malgré la victoire écrasante des partisans de la couronne, y compris à Saint-Étienne – notons cependant que 1. les circonscriptions sont plus larges que la ville elle-même et comprennent des territoires ruraux favorables à la paix monarchiste, 2. les républicains étaient partis en ordre dispersé (nous y reviendrons). D’ailleurs, à part cet accroc des législatives de 1871, le vote républicain a sans cesse progressé à Saint-Étienne entre 1856 et 1870.
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Si chacune de ces communes interagit entre elles ; à l’inverse, l’échec du mouvement lyonnais le 26 mars paralysera le comité exécutif stéphanois, Paris reste un moteur et un modèle. Il faut alors bien comprendre que le projet communaliste parisien est avant tout un projet fédéraliste et centralisateur, en cela déjà différent du sens initial de la Commune. Deux délégués parisiens, dont un certain Amouroux, sont envoyés à Lyon puis à Saint-Étienne dans l’objectif d’arriver à une fusion fédérative entre les deux Communes puis entre celles du Sud-Est, notamment avec Marseille. Mais Amouroux se rend à Saint-Étienne le 27 mars, au moment même où la Commune de Lyon s’éteint. Il ne trouve sur place aucun des chefs de l’insurrection, affairés à je ne sais quoi ou déjà en cavale. Il s’ensuit que cette tentative de jonction est un échec, les mouvements étant trop sporadiques, désorganisés et éphémères. Trop dépendants aussi de conjonctures spécifiques à l’intérieur de chaque ville.
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J’en viens maintenant à préciser une des causes de l’échec de la Commune de Saint-Étienne, ou plutôt de sa brièveté, tant ce mouvement semblait en lui-même promis à l’échec. Elle réside dans les tensions et les affrontements à l’intérieur même de la gauche républicaine stéphanoise. Il s’agit d’une raison toute locale qui fait pourtant écho à la situation nationale dégradée entre les partisans de Thiers et ceux de Gambetta. Pour mieux comprendre cette situation à Saint-Étienne, il faudrait revenir au mois de septembre 1870. Après la proclamation de la République par Gambetta, les républicains et les socialistes s’organisent en clubs. Deux clubs voient le jour :
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L’Alliance républicaine, des républicains modérés et légitimistes du point de vue du pouvoir, issus de la petite bourgeoisie, et dont l’organe de presse a pour nom L’Éclaireur.
Le Club de la rue de la Vierge, plus radical, composé d’éléments ouvriers qualifiés et de membres d’une Garde Nationale ranimée dans la Loire le 12 septembre 1870 par le préfet César Bertholon, qui proclame la « patrie en danger ». Contrairement à Lyon, où la Commune est le fait des habitants d’une Guillotière ouvrière et socialiste, et non plus des Canuts embourgeoisés, la Commune de Saint-Étienne, sans être un mouvement bourgeois, a pour éléments moteurs les passementiers, mineurs et employés de commerce – car ce sont bien ces membres du Club de la rue de la Vierge qui constituent les forces vives de la Commune. Les ouvriers du métal et ceux du chemin de fer se montrent moins véhéments, voire attachés à l’ordre et à la paix. Le journal du club est déjà un programme : La Commune. Les propos y sont proches des déclarations anarchistes, mais peu représentatifs des membres du club ; le cercle de rédacteurs proudhonien, internationalistes ou épigones de Bakounine s’avère en fait relativement restreint.
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Les divergences entre les deux clubs et tendances républicaines, particulièrement virulentes durant tout l’automne et l’hiver 1870-1871 au sein du conseil municipal, sont, entre autres causes, à l’origine aussi bien de l’échec aux législatives que du fiasco de la Commune. Dès le 24 mars, et passé l’enthousiasme de la prise de l’Hôtel de ville, les alliés n’arrivent plus à coopérer, à cousiner sur les positions à tenir, tergiversent ; la réunion républicaine du 25 au soir, après la dissolution de la municipalité en place, une dissolution réclamée par les deux camps, ne fait qu’attiser les tensions lorsqu’il est question des suites à donner au mouvement, et la mort du préfet n’aboutit au final qu’à un retrait de l’Alliance républicaine. La scission, définitive, désorganise et fragilise le mouvement notamment vis-à-vis de la population. La Commune de Saint-Etienne n’étant désormais plus le fait que d’une faction recluse sur elle-même à l’Hôtel de ville et qui peine à proposer un véritable programme, à jeter les premières pierres d’un projet.
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« Une grande sévérité est requise à l’encontre des communards stéphanois »
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En avril, l’ordre est revenu à peu près partout en province. Les arrestations se multiplient même si les principaux responsables ont quitté la ville, parfois même la France, et ne seront condamnés que par contumace. Entre octobre et décembre les procès des agitateurs sont instruits dans le cadre plus pacifique de Riom dans le Puy-de-Dôme. Une grande sévérité est requise à l’encontre des communards stéphanois, sans doute en représailles de l’exécution d’un préfet : réclusion, bagne ou déportation. Tel est le régime pour 56 accusés, dont seulement 5 ou 6 sont des membres actifs de l’International et potentiellement séditieux.
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L’un d’eux par exemple, un tout jeune homme nommé Joannès Caton, rédacteur au journal la Commune et secrétaire du comité exécutif stéphanois, est condamné à la déportation à vie en Nouvelle-Calédonie (gracié en 1879) où il rencontre entre autres Louise Michel et Henri Rochefort. Il publiera là-bas un Journal de déporté. C’est sans doute ici que se joue la mémoire inscrite de la Commune : à travers ces trajectoires individuelles, là où le non-événement, l’insignifiance des faits rencontre le drame humain, dans la mémoire répétée des déportés, des condamnés – dans la répression qui fabrique ces figures christiques de destins brisés. On devrait dire que de Commune il y a eu surtout celle de Paris ; à Saint-Etienne, Lyon, Marseille il y a eu des communards dont les destins plus que les faits sont restés dans les mémoires, bien plus que dans l’Histoire.
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David Cizeron
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