Moscou ne croit pas aux larmes (n°4) : Mort naturelle d’un anarchiste italien (par Ashraf)

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Mort naturelle d’un anarchiste italien

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Armand Gatti, résistant antifasciste, journaliste, poète, cinéaste, dramaturge, metteur en scène , travailleur social dans le genre jardinier, frère des arbres et camarades des oiseaux vient de mourir à 93 ans. Du tabassage à mort de son père éboueur immigré en 1942 à l’énucléation de son petit-fils par un tir de flashball en 2009, il a pu témoigner toute sa vie que la police mutile et assassine.

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Il se disait anarchiste dans un État français où la bourgeoisie considère les poètes anarchistes comme un élément inoffensifs du folklore « national ». Il a beaucoup écrit sur les martyr-e-s de l’anarchie dans un État français ou la bourgeoisie aime bien les anarchistes morts, surtout quand ils/ont été assassinés par des méchant-e-s stalinien-ne-s. Pourtant, chose curieuse, les notices biographiques parues dans la presse bourgeoise de ces derniers jours ressemblent souvent à des rapports de police, comme si les journalistes s’amusaient à fouiller à coup de groin dans la parole poétique foisonnante du défunt pour y trouver de possibles inexactitudes, exagérations et contradictions autobiographiques. On s’appuie sur la parole d’anciens nazis pour démontrer que l’auteur de L’enclos n’a pas été déporté dans un camp de travail mais dans un camp de vacances. On ne se souvient pas d’un tel acharnement à la mort de Dario Fo il y a quelques mois. Les deux hommes avaient pourtant terminé la deuxième guerre mondiale en sautant en parachute, même si leurs parachutes n’étaient pas exactement de la même étoffe. Ils avaient ensuite tous deux placé leur œuvre théâtrale sous le triple patronage de François d’Assise , de Bakounine et de Mao. Mais Fo avait fini par mettre de l’eau dans son vin et par rentrer dans le rang de la sociale-démocratie (jusqu’à finir par voter Beppe Grillo, il n’y a que la première trahison qui coûte, ensuite tout devient possible). C’est sans doute ce qui lui a valu le Nobel, tandis que Gatti n’avait droit qu’à un crachat sur son cercueil.

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Gatti, qui fonctionnait à l’affectif tenait à rester fidèle jusqu’au dernier souffle à Mao, à Fidel et au Che (mais aussi à Rosa, à Gramsci, Durutti et Makhno).

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Toutes celles et tous ceux qui le suivaient savaient qu’il y avait à prendre et à laisser dans les monologues poétiques ébouriffés de Gatti : du vrai, des rêves, des fables et des paraboles avec leur morale et leurs symboles, c’était la règle du jeu. Tout cela laisse au final pas mal de perles pour les cochons. Gatti était capable du meilleur, comme du pire ou du plus grand n’importe quoi. Les dernières années, c’était parfois le pire et le foutraque qui l’emportait. Comme il y a quatre ans quand il avait accordé une longue interview à un jeune godelureau soralien, devant qui il s’était livré à un éloge provocateur de l’État d’Israël et à un pénible déni de l’existence du peuple palestinien (voire de la civilisation arabe). Disons que ce n’était pas le truc le plus cool à faire à celles et ceux qui l’aimaient bien (dont quelques palestinien-ne-s). Que c’était injuste et choquant. Que le fait d’avoir 89 ans n’était pas une excuse pour balancer ce genre d’uppercut dans le cœur. Qu’on l’aimait mieux en 2003 quand il disait que les députés socialistes qui avaient signé un texte en faveur du renversement du « dictateur » Fidel Castro étaient les mêmes hypocrites qui avaient fait assassiner Rosa Luxemburg. C’est la marque d’un esprit aiguisé de savoir distinguer le sourire carnassier du crocodile social-impérialiste derrière ses larmes « humanistes ».

Gatti, qui fonctionnait à l’affectif tenait à rester fidèle jusqu’au dernier souffle à Mao, à Fidel et au Che (mais aussi à Rosa, à Gramsci, Durutti et Makhno).

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« C’est là que commence la dimension anar ! Tu vois ! Il faut trouver des mots adaptés à ce nouvel état, il faut aider l’ouvrier, l’exploité, à combattre avec eux »

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En cette période pré-électorale, alors que le spectre de l’homme au couteau entre les dents est agité hors de propos , il nous parait sain de préférer le théâtre au cirque et de nous souvenir du bilan que Gatti tirait de sa rencontre avec Mao Zedong , qu’il avait interviewé en 1954 avec son ami et traducteur Wang Tchouang Tsi .

« La révolution culturelle, la longue marche ce n’est pas ce qu’on en a fait, cette récupération. Évidemment, la forme de pensée ici, c’est la CIA qui la fait. On dit « Fidel Castro, c’est un dictateur ! » et ils vont tous le voir ! On est pris dans ce monde là. Le groupe de Mao à l’époque avait réussi à renverser la situation. Wang Tchouang Tsi lui avait déjà expliqué qui j’étais. Le type de discours qu’il avait avec moi, tu l’as avec Malraux ! J’ai demandé à Mao : « comment faire la révolution culturelle ? ». Il m’a répondu : « Et bien, par le théâtre ! ». D’après mon autre interprète qui était une femme, elle disait qu’il y avait plus de différence entre le chinois de Pékin et celui de Shanghai qu’entre le français et l’anglais. Alors la réponse du théâtre devenait tout de suite claire ! C’est comme les idéogrammes pour traduire cela !…Il peut y avoir mille interprétations. En Chine, il y avait l’équivalent en théâtre de ce que, chez nous nous avons en églises. Cela pourrait être pareil, à la différence que dans un théâtre, on devient créateur ! C’est là que commence la dimension anar ! Tu vois ! Il faut trouver des mots adaptés à ce nouvel état, il faut aider l’ouvrier, l’exploité, à combattre avec eux. Il y a des mots qui font les résignés, regarde la « démocratie » ! Rien de plus « dégueulasse » que la démocratie ! D’abord c’est le choix automatique du quantitatif sur le qualitatif ! Le combat n’est pas là !

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Le problème c’est que les anarchistes sont avec Mao comme les bolchéviques étaient avec Makhno. Mao était contre la guerre, mais pour la guérilla. C’est pour cela que les anars ont perdu en 1936. Cela, Buenaventura (Durutti) le disait déjà avant Mao, il faut faire la guerilla ! Chaque combattant maoïste portait sur son dos un idéogramme. Voilà ce que c’est que la longue marche : une révolution de mots. Pour la première fois, des paysans avaient droit à l’instruction. Le renversement de cette situation s’est fait le jour Mao a pris le commandement. Mao avait été anar, mais ça personne veut le dire. »

(Entretien avec Isabelle Marinonne, Montreuil, 31 mars 2004, in Cinémas libertaires au service des forces de transgression et de révolte, Presse Universitaire Septentrion, 2015)

Ashraf

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