Actu : La nuit des idées, James n’est pas content ! ( par James Nettoyant-Vitre )

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James n’est pas content.

James a assisté à une nuit de conférence sur l’Avenir.

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James était heureux. Le ministère des affaires étrangères ouvrant ses portes et offrant gratuitement de la nourriture intellectuelle et de la beauté en accès libre.

Un rassemblement d’intellectuels français et étrangers discutant de questions d’actualités. Son jeune cerveau, désespérant de trouver une quelque cohérence au monde dans lequel il évolue, en crépitait d’excitation. « Des réponses à mes questions ! » « Des personnes sages et averties pour en parler ! » pensait-il en détaillant les sommités présentes et leurs titres : « politologues » « philosophes » « historiens »  « écrivains » « ingénieurs ».

La soirée commençait bien. Ce sociologue proposait l’idée que les gouvernements commencent juste à reconnaître une force quasi souveraine de la Terre, une « Gaïa » dépassant le concept de nature. James se frottait les mains d’écouter les prochaines conférences. « Les frontières ». On mentionna que des gens mourraient aux frontières, que c’était du à des inimités et pas des amitiés, que l’émergence de l’Inde, de l’Afrique du Sud, du Brésil, de la Chine était croissante, que l’Europe déclinait. James se rendit soudainement compte que s’il n’arrivait depuis le début de cette conférence qu’à faire des croquis stupides de ce type en face, ce n’était pas par manque d’intérêt de sa part mais bien à cause du manque d’intérêt du discours en lui-même. « Damned ! » se dit-il. « Mais c’est mon cours de géo de terminale ! Comment se fait-il que j’entende à une « nuit des Idées » quelqu’un me raconter quelque chose de tellement évident que des lycéens sont habilités à le nuancer au bac ?».
« Il faut penser à qui nous excluons, quand nous disons « nous » ». Les frontières excluent des gens. Oui. C’est vrai et c’est joliment dit. Il attendit une nuance, une idée, une lueur, une suite. Il n’y eut qu’un long amas de mots durant lequel James continua de dessiner le type chelou d’en face. Un tweet s’afficha sur un écran « vibrant plaidoyer en faveur d’une histoire mondiale #nuitdesidées». James était perplexe.

Il n’avait pas encore perdu espoir.
D’autant qu’avec la conférence suivante, l’expression « L’exception qui confirme la règle » fit sens comme jamais.

Face à face, deux philosophes, et la question « Quelles Lumières ? ». Le premier parla dix longues minutes. Le discours semblait éloquent, érudit, mais James se rendit compte qu’il n’était qu’une compilation de points de vues déjà édictés par des philosophes n’ayant même pas vu l’aube du 20e siècle. Et que celui qui en faisait la liste n’arrivait qu’à la conclusion que « peut-être, il semblerait, que la notion de Raison, en tant que raison instrumentalisée, semble en effet, éventuellement assez critiquable ». Le philosophe en face répondit qu’avant de parler de Lumières et d’obscurantisme il fallait peut-être regarder bien en face qui nous étions. Il prit pour exemple la crise des réfugiés et cita le nombre de décisions de pays occidentaux qui y avaient in/directement contribué. Il mentionna que nous n’étions plus en démocratie mais en « post-démocratie ». Il cita Oscar Wilde décrivant qu’aider ce mendiant ce n’était pas juste lui donner une pièce, mais changer le système pour qu’il y trouve une place. 10 minutes. Des questions, un contexte, un appel à des questions concrètes et à ce qu’on fournisse des réponses concrètes également. Observant les gens autour de lui, James constata que tous avaient un immense sourire de satisfaction.
L’autre en face fit d’obscures et complaisantes digressions pour conclure que ne se fier qu’à la raison sans les particularismes de l’expérience n’était pas top, et que cela aboutissait à ne ce soucier que des moyens et fins sans en questionner la légitimité. Après la précédente manne intellectuelle, le cerveau de James fut pris à court. « En gros il dit qu’il faut toujours penser à si nos actions sont justes ou pas ? …Je crois que j’ai déjà lu ça… Dans cette histoire où le petit ours a faim et qu’il vole un pot de miel à son pote et que son pote pleure, et qu’après la maman du petit ours lui dit « voler ça rend les gens tristes, ne fait pas ça stp » et le petit ours dit « oh pardon, je voulais pas, j’avais juste faim, mais maintenant j’ai compris, j’essaierai de bien faire attention à ne rendre personne triste car ça n’est ni gentil ni constructif pour mon épanouissement personnel »». Certes, le type avait pris soin de conceptualiser le fond du texte, mais James s’attendait à ce qu’un prof de philo de Polytechnique lui en dise plus sur la vie que les histoires dans Pom d’Api. A méditer.

Il choisit ensuite d’écouter la conférence « Quelles ressources. ». Pendant quarante minutes, une paléo-climatologue et une chargée de négociations sur le réchauffement climatique prirent des positions provocatrices et controversables telles que : « nous arrivons à la fin des fossiles » « il faudra probablement en passer par de meilleures gestions de nos ressources et des décisions à l’échelle locale ». Il observa deux personnes de son âge sortir de la conférence en disant « waouh c’était génial ». Il contempla son carnet de notes que de telles banalités avaient laissé vide. Il inscrivit pensivement, à côté du titre qu’il avait noté, «  conférence de merde ». Ses homologues avaient-ils réellement échappé à quelques décennies de critique des modes de vies, une vingtaine de sommets mondiaux sur l’état de la planète et autant autour des alternatives écologiques, pour trouver ce genre de lieux communs géniaux ?
Désinformation ? Manque d’information ? Surplus d’information ? Inintérêt ? Tout cela le laissait songeur.

Il attendait beaucoup de la conférence sur la spiritualité. C’est un thème important. Un thème précieux et riche de sens.
Les deux philosophes parlaient bien. C’était beau à écouter, drôle, parfois. « Une religion n’est pas qu’une liste de choses permises ou interdites. Un texte religieux donne soif, promets à boire et donne à boire. ». Ils évoquèrent l’Art, moyen d’atteindre « un ailleurs ». Ils s’amusèrent de nos réactions à croiser des signes religieux en ville « on fait de grands yeux quand on voit une bonne sœur, et on est rassurés de voire que ce n’est qu’un travesti qui va à la gay pride ». La religion est sclérosée. La spiritualité n’est pas toujours la religion. C’est vrai. On sait. « Mais, où chercher cette spiritualité ? » demande la journaliste avec une voix apprêtée. Ils parlent une vingtaine de minutes. C’est beau, vraiment. Mais à la fin de cette conférence, James ne s’est entendu dire que des jolies, évidences détachées de tout contexte. Le genre qu’une hypothétique trentenaire stressée pourrait écrire dans son « agenda du bonheur » Nature et Découvertes, avant d’inspirer longuement, de penser à la paix et de retourner dans son open-space. Comble de l’ironie, la journaliste et sa voix toute fausse concluant « Nous ne savons toujours pas où trouver cette spiritualité… Merci Messieurs (…) » avant de lire sur son Mac un poème soufi sur la beauté et les étoiles.

Et les débats actuels sur l’Islam, entre phobie, amalgames et recherche d’unité ? Et le Pape François, plus aimé des athées et des non-pratiquants que des habituels fidèles ? Et tous ces gens depuis les 60’s qui trouvent plus de spiritualité en entrant en transe sur de la techno dans la forêt ou écoutant les Floyd la tête enfumée que dans les textes Saints ? L’Art contemporain a-t-il encore une visée spirituelle quand Baudrillard le décrivait il y a plusieurs années comme d’une telle superficialité qu’il n’atteint même pas la qualité d’un véritable ennui? Y a-t-il encore du temps et de l’espace pour une véritable spiritualité dans l’univers saturé de faits et d’images du 21e siècle ? Que peut la spiritualité contre la crise et les burn-out ?

James sent que les chances de se voir répondre quelque chose d’enrichissant sombrent plus profondément chaque jour. Que faire quand Nekfeu, Stupéflip ou Usul lui semblent poser de plus pertinentes problématiques que les professeurs des plus éminentes universités, eux-mêmes diplômés de ces plus éminentes universités ?
Qui sont ces gens qui possèdent un tel savoir et n’en font rien ?

Que penser des tweets des journalistes et politiques qui commentent plus à quel point cet événement est stylé que les idées des participants ? Qui prennent des photos des chaises et des lustres, citent les parcours plein de diplômes et de noms prestigieux des participants, s’enorgueillissent d’une France qui dit non au déclinisme quand le vide qui empreint les discours en est l’évidence la plus consternante.

 Nuits des Idées. « Vraiment, c’est bien essayé » se dit James. Il réalise, désabusé, que tout ce manège va fonctionner. On a agité les Intellectuels Français. Ils rendaient bien, avec leurs rides et leurs chemises sous les spots et les dorures majestueuses du Quai des Orfèvres. C’était crédible. Sur le programme il y avait ces mots polémiques : frontières, spiritualités, ressources. On se dira en regardant ces images, voilà tout le prestige de l’intelligentsia nationale. Comme cela a du être passionnant. Et qui viendra détromper cela ? Qui dira, non, ils n’ont répété que ce que l’on leur a appris, de la façon dont on leur a appris. En temps de crises complexes, ces gens n’ont plaidoyé que pour des causes gagnés par avance. Eux dont l’érudition, le statut, les contacts permettraient de dénoncer avec légitimité et brio des situations qui gangrènent les esprits, les politiques, eux restent confits dans leurs phrasés académiques et leurs citations d’autres siècles.

James n’est pas content. Ceux qui ont pour tâche d’éclairer les esprits de ce siècle semblent être les mêmes mascottes qu’on lui agite à a télé et dans ses cours. Ces mêmes personnages tièdes, bien-pensants et bien cadrés à qui il faut ressembler pour gagner de l’argent et pour se dire qu’on fait de sa vie quelque chose d’honorable.

James a la gerbe.

James Nettoyant-Vitre

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