Antilles : « On a bien (Chlor)déconé avec la santé des gens.. » (par Sacha)

 

 

 

 

 

 

Exploitée aux Antilles de 1972 jusqu’en 1993, le chlordécone est un pesticide organochloré qui fût utilisé dans les bananeraies dont on sait aujourd’hui qu’il est responsable de nombreux cancers et a contaminé une grande partie de la faune et de la flore. Le non-lieu prononcé le 2 janvier dernier par deux juges d’instruction du tribunal judiciaire de Paris attise la colère des populations antillaises humiliées par ce verdict, les avocats des parties civiles dénoncent « un déni de justice » et annoncent faire appel.

 

 

Exploité comme insecticide sous de nombreux noms à partir de 1972 dans les bananeraies pour lutter contre le charançon, principal cause des pertes des cultures, le (ou la) chlordécone a contaminé 95% de la population guadeloupéenne et 93% de la population martiniquaise.. Pourtant interdit aux États-Unis et proscrit par l’OMS dès 1977, dont deux rapports accablants mandatés par l’INRA (Institut national de la recherche) – le rapport Snegroff (1977) et Kermarrec (1980) – établirent l’existence d’une pollution des sols et des milieux aquatiques environnants, ainsi que la bioaccumulation des substances organochlorées dans l’environnement, l’État Français n’a interdit ce pesticide qu’en 1990 en métropole, et l’autorisa pour la Guadeloupe jusqu’en 1993. Les bananeraies perçoivent des subventions étatiques représentant 50% de leur chiffre d’affaires. De fait, très impliqué dans l’exploitation de la banane aux Antilles depuis l’époque coloniale, il est difficile de ne pas invoquer la responsabilité de l’État français qui connaissait la dangerosité de cet insecticide depuis les années 70. Certains documents incriminant l’Etat ont comme par enchantement disparu lors des procédures judiciaires..

 

Aujourd’hui, la Guadeloupe et la Martinique détiennent le triste record mondial du cancer de la prostate.. de nombreuses femmes, mêmes très jeunes, sont atteintes d’un cancer du sein, beaucoup d’enfants naissent prématurés avec des troubles moteurs et mentaux, et si bien même l’enfant s’en sort, le chlordécone est présent dans le lait maternel pour achever le travail.. Le chlordécone est un perturbateur endocrinien qui ne fait que commencer à parler de lui.. nous verrons son impact sur les 30 à 40 générations à venir.. Les plus optimistes estiment qu’il faudra entre 500 et 600 ans pour disparaître totalement des terres et des eaux.. Un quart des Martiniquais et 14% des Guadeloupéens ayant été surexposés au chlordécone risquent de développer une pathologie grave.

 

Reportage de France 24 en date du 9 janvier 2023

 

L’ensemble des élevages pour nourrir les deux îles ne sont pas épargnés. Tous les bovins de Martinique sont contaminés. La pêche comme solution ? Les poissons sont également contaminés.. apportant un risque supplémentaire de crise économique dans le secteur de la pêche. Ne riez pas, les experts et le gouvernement incitent les consommateurs à s’alimenter idéalement de poulets.. élevés en batteries. En effet, ce sont les rares animaux d’élevage à ne pas toucher sol, évitant ainsi qu’ils consomment des aliments ou de l’eau issus des terres contaminées. Il est interdit d’introduire des animaux contaminés dans des zones non polluées à cause de leurs défections contenant elles-mêmes un haut taux de chlordécone.. Pour les légumes, même combat.. il est vivement conseillé de ne pas consommer ce qui pousse à même le sol. Consommer des aliments importés ? Les taxes d’importation des denrées sont exorbitantes et chaque produit venu de métropole coûte le double de son prix, seul les plus aisés peuvent se payer ce luxe..

 

De nombreux collectifs et associations militent depuis des années pour faire reconnaître ce scandale d’État comme « un sujet de santé publique et d’intérêt général », juger les responsables, indemniser dignement toutes les victimes du chlordécone, et demander des moyens publics concrets pour endiguer la catastrophe écologique. 2006, des associations déposent une plainte pour « mise en danger de la vie d’autrui et administration de substance nuisible ». C’est cette même plainte qui le 2 janvier dernier a été rejetée par deux juges d’instruction du pôle santé publique et environnement du tribunal judiciaire de Paris.. La justice se défend en expliquant que « l’état des connaissances techniques ou scientifiques début des années 90 ne permettait pas le lien de causalité certain exigé par le droit pénal et que certaines infractions pour lesquelles les avocats demandaient des poursuites n’existaient pas encore à la date des faits poursuivis.. ».

 

“UN ÉTAT DE DROIT NE PEUT PAS DIRE QU’IL Y A UN NON-LIEU FACE À UNE INJUSTICE D’UNE TELLE GRAVITÉ”

 

Pour Alex Granville du Komité du 10 janvié 2020 « ce non-lieu est une hypocrisie, le dossier a été bâclé et la procédure d’instruction n’a jamais commencé ». Les associations et collectifs redoutaient ce jugement depuis longtemps. Fin février 2021, plus de 15 000 Martiniquais défilaient dans les rues de Fort-de-France dénonçant déjà cet éventuel verdict. Plusieurs parties civiles ont annoncé faire appel. « Un État de droit ne peut pas dire qu’il y a un non-lieu face à une injustice d’une telle gravité » s’offense Henry Durimel, maire écologiste de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) et ancien avocat.

 

Le manque de moyens mis a disposition par l’État, hormis des effets d’annonce comme le nouveau Plan Chlordécone IV, qui ne sait plus vraiment comment faire pour endiguer la pollution et son manque de volonté à poursuivre les responsables du massacre écologique laisse ainsi les Antillais condamnés à leur triste sort. Le 21 janvier dernier, les maires de Guadeloupe se sont réunis pour demander unanimement l’adoption d’une loi reconnaissant la responsabilité d’État qui permettra aux victimes d’obtenir « le droit à réparation ». De plus, des rassemblements commencent à s’organiser aux Antilles et en métropole pour dénoncer le jugement du 2 janvier. Le bras de fer avec l’État n’est pas encore terminé, soutenons-les ! 

 

SACHA

 

 

 

A voir ailleurs : 

https://www.senat.fr/rap/r08-487/r08-487_mono.html

https://www.irset.org/fr/etudes-destinees-identifier-les-dangers-et-risques-sanitaires-associes-lexposition-au-chlordecone

https://reporterre.net/Chlordecone-l-Etat-francais-reconnu-coupable-de-negligences-fautives

https://www.francetvinfo.fr/societe/justice/info-franceinfo-non-lieu-dans-l-affaire-du-chlordecone-nous-allons-faire-appel-annonce-l-avocat-historique-des-victimes-et-maire-de-pointe-a-pitre-harry-durimel_5583255.html

https://la1ere.francetvinfo.fr/chlordecone-une-centaine-de-personnes-manifeste-a-paris-contre-le-non-lieu-intolerable-1357250.html