Chronique : L’Ère de l’obédience (par Bob Pagan)

31 décembre 2020 FoutouArt

Dans une société en totale perdition..

Où l’on troque de plus en plus notre dignité humaine contre la visibilité numérique.

Où l’on sacrifie la synergie du collectif et ses possibles infinis contre la triste excroissance maligne servant de nombril.

Dans cette période sombre et lugubre..

Où l’humain, à grand renfort d’introspection, de déconstruction et de circonvolution, cherche à définir sa place, son identité, un sens à sa vie, et surtout, un alter ego minutieusement défini par ses innombrables singularités. un alter ego avec qui il pourra enfin se liguer contre ces « Autres » insupportables, ces « entraves vivantes » à sa propre émancipation… pour sa propre Liberté d’exister dignement il doit se trouver une case toujours plus petite, toujours plus unique… toujours plus seul et incompris..

Dans cette réalité décevante et terne, où le nombre exponentiel de revendications s’entrechoque, s’allie, s’annule et se bouscule… Notre pauvre humain n’a plus le temps de palabrer sur la liberté et la démocratie. Il doit, à tout prix, produire toujours plus pour gagner l’argent nécessaire à entretenir une consommation en flux tendu. Une consommation salvatrice qui suivrait les aléas de ses lubies, de ses déboires et de ses incertitudes. Une consommation à son image… unique..

Et c’est à cet instant, paralysé par le doute, doutant de tout, tournant en rond, rompant avec ses semblables, qu’arrive des cieux, dans un halo de lumière…. L’État Providentiel !

Celui-ci propose un unique commandement pour soulager nos bovidés covidés supra-cloisonnés : les décharger une bonne fois pour tous des tourments de la vie de la cité. Ceux-ci pourront alors laisser libre cours à leurs pinailleries intro-fictives en échange d’une denrée gratuite et peu encline à répondre à leurs caprices: la Liberté .

C’est ainsi que débute L’Ère de l’Obédience !

Je tenterai ici, avec la modestie propre à tout ceux qui pondent des monologues planqués derrière un écran poussiéreux sans personne pour contester leur élucubrations avinées, d’avoir une réflexion sincère et ouverte sur cette humanoïde étrange trop souvent invisibilisé dans nos pamphlets gauchistes. Bien qu’incontestablement triomphant, notre irrespect à son égard n’a d’égal que sa puissance. Projecteurs dirigés vers ce chaînon manqué qui bientôt colonisera le monde puis, pourquoi pas, la galaxie, j’ai nommé l’Homo Sapiens Miserabilis autrement appelé : L’obéissant !

Vous savez cette mélasse tiède et indigeste dont seul un système bien rodé connaît la recette. On l’obtient lorsqu’on mélange du concentré de conformisme républicain avec du jus de bigoterie moyenâgeuse, et que l’on saupoudre copieusement avec du « bon vieux patriotisme ». Cette glorieuse création digne des plus grands alchimistes que l’on peut aussi, si le cœur nous en dit, arroser allégrement d’une foi intangible en la sainte consommation, pour enfin battre le tout avec une aversion totale pour ce satané changement. Cette mixture pratique et bon marché ravira les rois, le grand patronat, les seigneurs de guerre et autres infamies dominatrices. En plus, elle est incontestablement écologique car il n’y a pas besoin de la cuire, laissez la simplement traîner quelques générations dans un vieux frigo rance mal jointé et démoulez le tout disgracieusement sur l’espace publique.

Et voila, c’est prêt !

Laissez-vous bercer par ses émanations légèrement xénophobes et ringardes, et, vous verrez, très vite, la magie opère. C’est une véritable madeleine de Proust. Vous pouvez presque entendre tonton Gérard faire un monologue aviné sur le complot islamo-gauchiste piloté par Edwy Plenel et Adèle Haenel.

Bon, mettons fin à cette (trop) longue métaphore bancale faussement inspirée et recentrons-nous !

Quoi de plus normal et de plus légitime qu’enfin tourner les projecteurs vers nos vrais maîtres de toujours, vous savez, celles et ceux qui respectent scrupuleusement les règles, qui pataugent dans l’allégresse des us-et-coutumes, cette fusion impeccablement parfaite du « c’était mieux avant » et du « c’est comme ça, c’est la vie, on peut rien y faire », ces normaux normés normalement informes et sans saveur, toujours dans les clous et jamais en retard.

Rendons hommage à ces doux rejets organiques du bon sens, qui, à travers leur léthargie conformiste alarmante, leur fainéantise intellectuelle consternante, et leur incontestable inconséquence, nous pousse malgré nous et contre notre grès, vers une fin lente, pathétique et misérable. Intéressons-nous à leurs cas, nous leur devons bien ça !

Car soyons francs, qui de nous, en dehors de nos quelques excès de rage intempestifs et maladroits (#bourré) prend réellement la peine, jour après jour, de décortiquer patiemment les milles et unes conneries quotidiennement régurgitées par ces congénères dégénéré(es)?

Qui explique aux obéissants, sans relâche avec une pédagogie impeccable, que ce monde s’émiette lentement, que l’ordre établi n’est plus légitime, que nos modèles s’enlisent et que leur bêtise nous lasse ? Qui ?

Qui suggère à Jean Machin que son regard lubrique dégoulinant sur sa collègue est dégueulasse, alors que c’est le centième porc écervelé qu’elle se coltine depuis la pause café de 9h45 ? Qui prend la peine de faire une clés de bras à Martine-Bidule qui fait une réflexion odieusement réac’ sur l’accoutrement « olé-olé » d’un jeune homme pas assez viril? Qui s’accorde une simple minute pour jeter sa tartine de rillettes suintante de gras au visage de son cousin raciste qui porte un T-shirt STIFO au repas de Noël ? Qui mentionne l’éventualité qu’un composteur n’est pas une priorité dans un quartier qui prend littéralement feu ? Qui développe minutieusement les nuances de genre au power-point dans les salles de boxe d’extrême droite? Qui dés-obscurcit l’orgasme féminin dans les lieux de cultes salafistes souterrains ? Ou encore, qui met entre parenthèses sa petite existence une fraction de seconde pour pogoter vigoureusement un débat « non-violent » où des gogols applaudissent à une intervention sur l’effondrement imminent de la biodiversité planétaire en claquant des doigts ? En claquant des doigts putain ! AAAAAarhgnnn Hum… reprenons nous…

Nous ne sommes pas à la hauteur de la tâche.

Ou alors.. OU ALORS… ou alors ils ont tout pigé ! Oh merde… oh…merde…ce sont… des experts dans l’art du chaos, des maestros de l’effondrement, que dis-je, de fins stratèges machiavéliques à l’intellect insondable œuvrant consciemment pour la destruction… Là, tout de suite il te paraît moins CON ce quinqua en SUV qui glousse étrangement fort en écoutant rire et chanson dans la file d’un drive-in malbouffien ! Ce type là, c’est LUI le boss ! La mère de famille écolo branchée gestionnaire de projet chez Starbuck qui « milite » pour qu’on installe un potager pédagogique à la place de ce « sordide camp de migrant qui fait tellemennnt de la peine mais c’est quand même bizarre que la police soit pas encore là j’ai appelé y’a un bon quart d’heure !» , c’est ELLE qui tient ton avenir entre ses griffes! Quand le pseudo cadre d’une Literie en périphérie vient t’éclairer sur la nécessité d’une croissance exponentielle alors que tu fais juste la queue pour aller pisser sur une aire d’autoroute, il met en PLS toute l’humanité !

Bref, vous l’aurez compris, nos existences sont bien peu de choses face à l’incommensurable plan millénaire des obéissants ! Alors, continuez, continuez ardemment à pagayer pour moraliser et conscientiser la masse mais…on va pas se mentir… levez le pieds sur le Deleuze et achetez vous un bon vieux T34 !