Les chroniques d’Antonin Galano : Coup de matraque

 

 

 

 

Antonin Galano se lance dans un nouvel exercice où la frontière entre réalité et fiction est aussi fine que délicate, et c’est précisément ce que propose cette nouvelle rubrique ! Notre écrivain excentrique se penche chaque semaine sur un fait divers afin de tisser une histoire à partir de celui-ci.

 

 

Coup de matraque

 

Mohamoud est avachi sur une chaise pliante, une cigarette froissée au bec. Il s’emmerde mais reste attentif. Il a l’œil. Le moindre gazier avec une dégaine un peu chelou, il le repère à vingt bornes. Tu crois quoi ? Il a l’habitude. C’est son job.

 

On est fin Janvier mais il fait des températures de printemps. C’est Marseille bébé ! Sous la capuche, son front perle. Nique sa mère ! 60 pelles la journée, vaut mieux ça que marner dans le graillon du McDo. Ça y fait penser à son poto Habib. Askip, il nique au taquet de meufs là-bas. C’est du mytho, c’est sûr.

 

Mohamoud escampe son mégot d’une pichenette. Il repère alors trois balèzes qui lui montent dessus. C’est clair. Les fils de hyène ! Il courbe la lèvre et siffle deux fois de façon stridente, comme dans les films, sans mettre les doigts dans la bouche.

 

« Ara ! Ara ! », qu’il s’époumone ensuite.

 

Les trois mecs le couchent par terre sans cérémonie puis le verrouillent d’une clef de bras.

 

– Qu’est-ce tu fous là, enculé ?!, que lui gueule l’un d’eux.

– Rien, rien, wAllah !

– Pourquoi tu cris alors ?!

– J’ai pas crié ! J’avais un poulet dans la gorge, c’tout.

– Prends-nous pour des cons ! On le sait que tu préviens tes petits copains !

– Y a dégun, tête de ma mère !

– Ils sont où alors, hein ?!

– Ils sont partis niquer ta grand-mère, sale clébard.

 

Mohamoud ramasse un vilain taquet dans la pommette. Sa tête frappe le trottoir. Du genou, un second condé lui écrase la joue sur le ciment, puis on lui passe les bracelets avant de le relever brusquement. C’est la routine, vulgaire épine, fine esquisse à l’encre de Chine… Mohamoud a un goût de fer dans la bouche. Il se débat pour la forme. On lui balance un autre taquet dans le foie. Il s’en fout. Au moins, il a eu le temps de prévenir. C’est tout ce qui compte.

 

Mohamoud atterrit à la Division Nord dans le 15ème. Après la gardav, on le conduit à l’Hôtel de popo de l’Evêché pour y passer la nuit.

 

Il se réveille le lendemain matin avec un cocard violacé et une furieuse envie de pisser. Il demande à un maton d’aller aux chiottes dans la langue d’Al-Qays, sauf que l’autre n’entrave pas un mot d’arabe. Il préfère ignorer Mohamoud, qui entame un cent pas rageur dans sa cage pour faire passer l’envie.

 

Il se retient tant bien que mal : il sautille, danse d’un pied sur l’autre, contracte le périnée et prend de profondes inspirations. Ça devient intenable. À plusieurs reprises, il se voit simplement lâcher les vannes et pisser dans son froc. La honte et le soulagement que ce serait ! Deux agents se ramènent et l’embarquent dans un fourgon. Il réitère sa demande, toujours en arabe désespéré. Eux aussi n’entravent rien, ou alors ils s’en foutent.

 

C’est quoi ces trimards encore ? Zerma des condés à Marseille qui comprennent pas l’arabe… Ils me prennent pour un caramel ou quoi ? C’est comme passer par le rond-point du Prado un soir de match et s’étonner que ce soit le oaï… Mon vier, ouais ! C’est encore des techniques de condé pour humilier, ça, c’est sûr. Ça doit les faire triquer, ces clébards.

 

Le fourgon démarre. Chaque tressautement demande à Mohamoud des trésors de self-control. Il puise au fond de ses réserves. Le monde entier se réduit à cette envie, ce besoin, cette absolue nécessité. Tenir, tenir, tenir… Y a de quoi virer cinglé. Une sueur froide goutte le long des tempes. Assis au bord de l’étroit banc, son buste bascule d’avant en arrière et ses jambes vibrent de bas en haut à une vitesse effrénée, comme deux petits marteaux-piqueurs.

 

Est-ce possible d’éclater de la vessie ? Merde ! Les sales clébards de merde ! Ils le font exprès ! Ils attendent que ça qu’il se pisse dessus, pour bien se payer sa pomme ! C’est sûr ! L’histoire fera le tour des comicos, ils vont lui coller l’affiche… Ça va se savoir au tiéquar… Sa répute est foutue…

 

La fliquette en charge de la surveillance de Mohamoud, assise avec lui à l’arrière du fourgon, regarde son manège les sourcils froncés. On croirait un gazier qui tape une crise d’épilepsie. Alors qu’elle s’apprête à le questionner, le fourgon broute à trois, quatre reprises puis s’immobilise. Les portes arrière s’ouvrent quelques secondes plus tard.

 

– Nina, on est en panne. Medhi regarde s’il peut bidouiller le moteur, j’appelle le QG. Ça ira, tu peux gérer le chouf ?, qu’il fait en désignant Mohamoud du menton.

– Pas de souci, Jo.

 

En panne ?! Ces enculés tombent en panne sur un transfert de cinq bornes ? Mohamoud en est persuadé à présent : ils se foutent de sa gueule. Puisque c’est comme ça…

Il profite que « Nina » avance vers l’arrière pour se lever d’un bond. Toujours entravé par les menottes, il baisse son froc aux genoux, vaille que vaille, en s’aidant des deux petits doigts et de la force du désespoir. Le calbut suit juste derrière. Il se tourne et un jet puissant percute le mur du fourgon. Les premières secondes, c’est presque douloureux. Puis le soulagement qui s’ensuit frise avec l’orgasme. Allah est grand ! Merci, merci, merci… Une flaque jaunâtre se répand rapidement entre ses pieds puis sur tout le sol. Nina se retourne alors et constate la scène, sidérée.

 

– Non, mais…

 

Elle se précipite sur Mohamoud et lui décoche un coup de poing dans l’oreille, net et précis. Sauf que, aussi net et précis qu’il soit, ça reste un coup de poing de gonzesse. À peine si Mohamoud vacille, vaguement groggy du choc. La pisse continue de jaillir. Nina le plaque alors de tout son poids contre le mur. Mohamoud se débat. D’un mouvement d’épaules, il l’envoie valdinguer vers le mur opposé. Le dos de Nina frappe le métal puis elle s’embronche dans le banc et tombe à quatre pattes. Le falzar aux tibias, Mohamoud perd l’équilibre. Il opère un demi-tour sur lui-même et tente de se rattraper comme il peut, en piétinant à petits pas. Pris dans l’élan, il percute Nina. La queue dégoulinante s’écrase en plein sur son front.

 

– Oh, merde ! Excuse-moi !, qu’il s’exclame en levant les mains en excuse.

 

Il y a un flottement. Mohamoud se tient debout face à Nina agenouillée, la queue à cinq centimètres de son visage. Sauf que Nina ne bouge pas. Au fond de ses tripes, il se passe alors quelque chose… Une pointe, une caresse, une démangeaison… Elle déglutit, hypnotisée par l’engin…Et puis, il y a l’odeur… Fétide, capiteuse, mais…

 

Elle devrait être écœurée… Pourtant…

Nina ne comprend pas.

Qu’est-ce qu’il se passe ?…

Pourquoi ?…

 

La queue de Mohamoud se met à enfler. Nina demeure immobile. Il sent un souffle rapide lui caresser les couilles. Il empoigne la base de sa queue et tapote deux fois la joue offerte. Nina a un léger sursaut surpris mais reste en place, figée, impuissante. Mohamoud lui pose alors la demi-molle en travers du visage, empoigne son chignon et commence à frotter doucement. L’odeur est suffocante. Le moment est délirant. Mais Nina ne parvient pas à bouger…

 

– Putain, y s’passe quoi, là ?!!

 

Jo bondit dans le fourgon et plaque Mohamoud plein fer, façon cathédrale. Quand il l’écrase au sol, tout le fourgon tremble sous l’impact. Nina se réveille brusquement puis aide son collègue à savater Mohamoud. Il encaisse plusieurs drops dans les côtes. De la semelle, on lui écrase la tronche dans sa propre pisse. Nina se frotte le visage d’un air écœuré.

 

– Ça va ?!, que lui demande Jo.

– Ça va, oui ! Cette bordille m’a foutu son chibre sur la gueule !

 

À eux deux, ils continuent de tabasser Mohamoud à grands coups de latte avant de le rassoir sur le banc.

 

– Toi, tu vas prendre bonbon, enculé !, que lui signale Jo. Agression sexuelle sur une personne dépositaire de l’autorité publique, t’en as pour deux piges au moins !

 

Mohamoud n’écoute pas. Il esquisse un petit sourire, d’où s’égoutte un filet de sang.

 

Le proc a effectivement requis deux piges. Mohamoud ne prendra que douze mois, avec une OQTF en prime, eût égard à sa situation irrégulière. La blague ! On sait comment ça se passe. Dans cinq piges, il créchera toujours ici, pas emmerdé pour un dinar. Il trempe pas avec les barbus. C’est pas son style. Une OQTF dans ce cas, c’est un morceau de flûte dans le mistral.

 

Comme il se couche sur sa paillasse le soir de l’événement, Mohamoud se laisse aller aux fantasmagories. Accusé d’avoir pissé dans un fourgon et biflé une fliquesse ! Putain, le panard ! Ça va être un héros quand il va sortir du hebs ! Il les voit déjà, tous morts de rire, à se retenir les uns les autres pour pas s’écrouler par terre. Dix, vingt, cent fois on lui redemandera de raconter l’histoire. On le regardera avec respect. On le traitera avec respect. C’est une légende qui fera le tour des Quartiers Nord, on en parlera aux minots dans vingt ans encore ! Sa légende est faite ! « Moha, le bifleur de fliquesse ». Ça a de la gueule comme sobriquet. C’est sûr, ça vaut pas Zampa ou Dodo Faïd, mais quand même. C’est qu’un début…

 

Nina rentre chez elle après son service, toujours en rogne. Comment cet enfoiré de clando a osé lui faire ça ? Ils auraient dû le défoncer à coups de tonfa, ce fumier ! Quand elle passe la porte, elle est cueillie par une odeur de blanquette. Son compagnon Denis vient l’embrasser puis retourne dans la cuisine. Il soulève le couvercle en fonte et jette un œil à la préparation, qui mijote à délicats glouglous.

 

– Ça va, chérie ?, qu’il demande en touillant avec une longue cuillère de bois.

– Mmmh, ça va…

– Dure journée ?

– Mouais…

– Rien de grave au moins ? Tu veux en parler ?

– Non, rien de grave. La routi… enfin, non… Rien de grave.

 

Ils passent la soirée tranquillement. La blanquette est bonne. Ils se posent ensuite devant Netflix. Sur les coups de 23h, ils partent se coucher. Denis se glisse dans les draps en dernier et éteint la lumière. Nina lui saute dessus dans la foulée. Elle l’embrasse à pleine bouche puis descend sous les couvertures. Denis ne comprend pas ce qu’il se passe. Des fois, il vaut mieux pas chercher à comprendre. Elle le suce goulument là-dessous et c’est tout ce qui compte. Ça faisait combien de temps ? Nina s’affaire une dizaine de secondes avant de ressentir une pointe de déception. Ça sent le gel douche… Elle remonte aussitôt, enfourche Denis et se pénètre toute seule.

 

Elle commence de façon lente et langoureuse, en roulant des hanches et du creux des reins, pendant plusieurs minutes. Ensuite, comme la vague monte dans son ventre, elle s’empale en plein sur le braquemart, les deux mains appuyées sur le torse de Denis qui est réduit à un paillasson de baise. Il n’a le contrôle de rien. Il est stupéfait. Il se laisse baiser. Elle monte de plus en plus haut et se laisse retomber de plus en plus fort, de façon de plus en plus frénétique. Ses gémissements se rapprochent, se font presque hurlements…

 

Alors, pour la première fois depuis des mois, elle jouit.

 

 

 

ANTONIN GALANO

Son Site : https://perturbateurdendoctrines.wordpress.com/

 

 

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