La chronique d’Antonin Galano : Braquage de branque (par Antonin Galano)
Braquage de branque
– C’bon, vous avez capté le plan ?
Je me retiens de ricaner. Tu parles d’un plan… C’est le niveau zéro de la planification cette merde, même un gamin qui voudrait taper des Chocobon dans le frigo, il ferait mieux. Les cinq autres lascars, ça a pas l’air de les faire tiquer. Ils acquiescent tous comme des teubés puis se frappent le torse du poing pour montrer leur approbation. Des putains de gorilles, les couilles grosses comme des melons, les cerveaux comme des litchis. Ils roulent des épaules en passant dans la pièce à côté, puis se gueulent des trucs de mongoliens pour se chauffer. « On va leur niquer leur race à ces bâtards ! » Y en a deux qu’entament un Fifa sur l’immense écran plat, les trois autres se posent à la table basse. Jack Dan’s, rails de C, Snapchat… Qu’est-ce que je branle dans ce foutoir, moi ?
Je m’approche du K, un peu penaud. C’est le patron, celui qui fait les repérages, celui qui élabore les « plans ». Ça a beau être une référence dans le milieu, je commence à avoir des doutes. Bien sûr, j’y ferais jamais remarquer comme ça… Pas envie de me faire péter les tibias. Alors, c’est vrai que le palmarès du K parle pour lui : Guillon, Vitaa, l’autre Miss France et sa tronche chelou, Gane, Lignac… Tout ça rien que sur les six derniers mois ! Il a choppé un filon, le K. Mais dans l’exécution, c’est du boulot de falasha. Y a qu’à voir les résultats : ça marche une fois sur deux et les keums se font tous serrer par les condés à chaque coup.
– K, euh… on peut causer deux minutes ?
– Qu’est-ce tu veux ?, qu’il me fait tout en pianotant sur son tél.
– ‘coute… C’pas pour te manquer de respect mais… euh… il est pas un peu abusé ton plan ?
– Abusé de quoi ?
– Bah… tu vois ?… euh… « On saute la grille, on force la porte, on leur met la zermi pour qu’ils nous filent les bijoux et on s’arrache »… j’sais pas… c’est un peu… euh… tu vois ?…
Il lève enfin les yeux de son tél.
– « Un peu… euh… tu vois ?… euh… tu vois ? », qu’il m’imite exagérément. J’vois rien, ta race ! Explique-toi comme un bonhomme, là tu bafouilles tah un puceau devant Bekhti.
Je déglutis puis craque une clope. Ok.
– Déjà, que je commence, on sait pas combien y aura de membres de la famille présents dans la piaule ce soir. Elle a deux fils, Lapix, mais est-ce qu’ils seront là ? Est-ce qu’ils auront invité des potes à eux ? Leurs meufs ? C’est samedi soir. Même elle et son mari, ils auront peut-être invité du monde…
– C’pour ça que vous y allez à six bonhommes. Et à trois heures du mat’, ils seront tous en train de dormir, y aura plus d’invités.
– D’accord, mais… Il fait deux étages, le putain de manoir ! Doit y avoir au moins cinquante pièces là-dedans, rien que dans le dressing, doit y avoir de quoi planquer un âne. Après, on va forcer la porte au tournevis… Voilà le boucan que ça va faire ! Y seront tous alertés là-dedans qu’on sera encore en train de transpirer devant la serrure. On aura pas le temps de confisquer les téléphones de tout le monde…
– Continue.
– T’as aussi un de tes keums qui s’est fait accrocher dans le jardin de la meuf, mardi. Elle a prévenu les condés que ça rodait. Ils vont être sur leurs gardes. C’est sûr et certain qu’y aura des patrouilles partout… Déjà que c’est le XVIème… Et téma l’équipe, que je fais en pointant les lascars dans l’autre pièce. On est à moins de six heures du coup et ils sont en train de s’arracher la gueule au Jack et à la C. C’est pas un home-jacking, c’est le cirque Pinder.
Le K me toise un bon moment. Puis il allume un cul de pétard, aspire une longue bouffée et la recrache par le nez.
– Tu veux en être ou pas ?
Il me tend le pétard. Je regarde la fraise incandescente quelques secondes puis aspire une bouffée à mon tour.
– J’aime pas faire faux bond, mais je bosse pas comme ça.
– T’inquiète. Mais réfléchis bien : s’tu passes la porte, ça sert plus à rien de revenir.
J’aspire la dernière bouffée puis écrase le pétard du bout du pied.
– C’est tout réfléchi.
– Bonne continuation, alors.
J’y serre la main, fais rouler la grande porte de l’entrepôt et me casse.
Faut reconnaître que braquer des bourges, l’idée est bonnarde. C’est ça qui m’a plu chez le K, le côté Robin des Bois. De tous les coups que j’ai faits, moi, je me suis toujours démerdé pour que ce soit pas des prolos, question de classe. Y a que les pires races de voyous qui braquent aux miséreux. Genre, le gouvernement.
19 cambriolages tentés, 19 réussis, aucune gardav ! Ouais, ma gueule ! Enfin, sauf une fois quand les condés m’ont arrêté avec un 10 de beuh, mais ça a rien à voir. Ils m’ont cuisiné comme si j’étais Escobar je me souviens, puis même qu’ils m’ont pris les paluches, les photos avec l’écriteau, tout le toutim. Pour un 10 de beuh, cette blague ! Autant dire que j’ai deux paires de gants toujours quand je pars sur un coup. J’ai jamais revu mon 10, évidemment. Ils ont dû le fumer entre eux, ces enculés.
Je repense à ça que je suis dans ma bagnole, posté près d’une intersection où je sais qu’ils vont passer, mes ex-partenaires, pour aller braquer Lapix. C’est en plein cœur du XVIème, il est deux heures et demi du mat’ et je tête une flasque de vodka dans la lueur cyclique d’un feu tricolore, tassé au fond du siège. Ah ! Anne-So, Anne-So… Ne nous en veut pas ! On vit pas dans le même monde mais on a les mêmes attraits, au fond. L’oseille, le pouvoir. Ainsi est l’être humain. Tes réalités à toi ne sont pas si éloignées de nos aspirations à nous. Et c’est important de partager, pas vrai ?
Les home-jacking, je le confesse, j’avais jamais envisagé jusqu’à présent, trop brutal comme embrouille. Pour les victimes, c’est dix piges de thérapie derrière et un paquet de terreurs nocturnes. Puis si tu te fais gauler, tu ramasses un motif de « séquestration » en plus dans la carafe. Ça rallonge les séjours. En revanche, si tu tombes sur un coffre, tu peux faire cracher la combinaison. Y a des avantages et des inconvénients. Moi, je préfère faire mon coup peinard, prendre le temps de tout fouiller puis m’arracher en scred, ni vu ni connu, sans arme ni haine ni violence, façon vieille école, quitte à laisser un magot bouclé derrière une porte à code.
À trois heures cinq du mat’, je repère enfin les lascars dans mon rétro. C’est pas compliqué. La bagnole fait des embardées brusques et le plafonnier est éclairé. Ils sont complètement cramés, ces enculés. Je me tasse encore un peu comme ils s’arrêtent à ma hauteur, au feu rouge. C’est ambiance boîte de nuit dans l’habitacle. Du gros rap pulse lourd par la carrosserie, de quoi se faire entendre jusqu’à Levallois, ça s’agite dans tous les sens et le passager-avant est en train de filmer la scène. Quand ça passe au vert, ils démarrent en trombe en faisant crisser les pneus. J’hallucine de cette bande de branques… Moins de dix secondes après, une berline noire passe à vive allure, une Talisman. J’ai le temps de voir trois silhouettes à l’intérieur, à la lumière des lampadaires. Je sors de mon emplacement et les suis à distance. De la façon que ça se découpe en ombres chinoises par le parebrise arrière, y a pas de doute. Je bifurque plus loin puis mets la gomme pour rejoindre les abords de l’objectif avant les branques. J’attends quelques minutes. Puis ils me repassent devant. Je compte. Un, deux… À sept, c’est la Talisman qui passe. J’attrape mon tél prépayé et appelle le K.
– Tes branques se sont fait accrocher, ils sont même pas arrivés encore. Ils sont aussi discrets qu’un char de la Gay Pride dans une mosquée.
– Comment tu sais ? T’es où ?
– À trois blocs de chez Lapix, j’ai suivi la filature.
– T’as filé les keufs ?
– Ouais.
Il se marre.
– Nique, tu laisses faire. S’tu fais foirer le coup, j’te fais foirer les genoux. T’as capté ?
– Il est déjà foiré le coup, K. Si tu les rappelles pas, ils vont se faire serrer, c’est sûr et certain.
– Tu laisses faire, j’t’ai dit.
Je dégage fissa du XVIème puis rentre chez moi. Comme je referme la porte, j’ai une illumination. Le K, il joue à pile ou face, ça passe ou ça casse. Si ça passe, c’est tout bénéf. Si ça casse, il s’en balance. Il mise sur la quantité, pas la qualité. Des jeunes vénèr, c’est pas ça qui manque. Des bourges à saigner non plus. Ses équipes, c’est juste du menu fretin, de la denrée fusible, de la perte acceptable. Quant aux objectifs, ils sont interchangeables. Journaliste, sportif, célébrité à la con, c’est du pareil au même, ça roule sur l’or et puis c’est tout. Le K, c’est un général. Il bombarde au petit bonheur ! Tant pis pour le tir ami ! Il en a rien à secouer que ses soldats soient compétents ou qu’ils finissent derrière les barreaux du moment qu’ils sont crève-la-dalle et prêts à tout pour ramener le butin au QG. C’est de la mission kamikaze orchestrée à cent bornes du front. Pas de risque ! Le seul plan, c’est « allez-y et faites ce que vous pouvez, on comptera à la fin avec ceux qui s’en sortent ! » Sauf qu’aucun s’en sort. C’est une bonne façon de ramasser toute la galette, en somme.
Le lendemain, je checke les nouvelles. Ça a pas loupé. « Tentative de cambriolage chez la journaliste Anne-Sophie Lapix à Paris, cinq personnes interpellées ». Ils ont même pas passé la porte d’entrée ni fui plus loin que le Trocadéro. Là-dessus, mon tél prépayé sonne. Le K.
– Wesh !
– J’t’avais prévenu, K…
– T’inquiète. Lundi, j’ai un repérage à faire. T’en es ?
– Ça ressemble à une promotion.
– Avoir des muscles, c’est bien. Avoir un cerveau, c’est rare.
– C’est quelle célébrité, ce coup-ci ?
– Tu verras.
ANTONIN GALANO
Son Site : https://perturbateurdendoctrines.wordpress.com/
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