La chronique d’Antonin Galano : Instinct maternel (par Antonin Galano)
Instinct maternel
Je me souviens de mon premier cauchemar. J’avais quatre ans. Maman ne m’avait pas encore abandonné. Je le sais parce qu’il y avait encore du chauffage dans la maison, et puis la télé marchait. Je me suis réveillé en sursaut, terrorisé. Je respirais et tremblais fort. Je me suis recroquevillé sous les couvertures puis j’ai passé le drap par-dessus la tête pour me protéger. J’ai attendu. Tout était silencieux. Il y avait juste le bruit de mon cœur dans le fond de l’oreille. Tagaboum tagaboum tagaboum… Ça battait très vite. Alors, j’ai senti le drap se soulever. J’ai ouvert les yeux. Un visage tout maigre se tenait à cinq centimètre du mien, avec des cheveux longs et un sourire méchant. J’ai hurlé puis je me suis réveillé de nouveau. J’ai pleuré. Depuis sa chambre, maman m’a engueulé. « Arrête de chialer, merde ! »
Tous les copains à l’école avaient un papa et une maman, ou bien deux mamans. Moi non. J’avais juste une maman. Quand j’y ai demandé qui que c’était, mon papa, elle m’a juste répondu : « c’est une pourriture, comme tous les hommes ». Je suis allé me regarder dans le miroir de la salle de bain. J’ai vu un petit garçon. Un petit garçon, en grandissant, c’est sensé devenir un homme, non ? Est-ce que j’étais un début de pourriture ?
Ça a commencé quand j’ai eu huit ans. Je voyais pas maman de tout le week-end. Elle revenait que le lundi matin. Heureusement, il y avait des biscuits dans le placard. Elle disparaissait comme ça. Je savais pas où ni pourquoi. J’ai finalement su qu’elle allait voir sa copine, Annie. Avec Annie au moins, elle était heureuse maman, elle pouvait être elle-même et elle avait surtout personne dans les pattes pour l’embêter. Un jour, elle m’a dit que la vie d’une femme, c’était pas d’être maman, que tout ça c’était à cause de la société. J’ai pas compris. Elle m’a dit aussi qu’elle aurait mieux fait de m’avorter. J’ai pas compris non plus.
Puis un jour, maman est plus revenue pendant une semaine. J’ai dû aller à l’école à pied. Puis elle revenait de moins en moins, juste comme ça, de temps en temps, avec des boîtes de conserves et des gâteaux, c’est tout. Il fallait que je fasse attention de pas tout manger trop vite, car je savais pas la prochaine fois que maman reviendrait avec des commissions. Je piquais du pain à la cantine que je cachais dans mon cartable. Le soir, je tartinais du beurre dessus. J’ai compris que j’avais zéro maman finalement.
Les voisins étaient gentils. Ils me donnaient un peu à manger de temps en temps. Moi, pour pas qu’ils s’inquiètent ou qu’ils me rapportent, je leur disais que maman était au travail, loin. Je racontais ça aussi à l’école. Je voulais pas que maman ait des ennuis.
J’ai appris à faire sa signature, pour les papiers de l’école et les carnets de note. C’est pas fastoche. Quand ma maîtresse m’a demandé qu’elle voulait rencontrer ma maman, avec les autres papas et mamans de mes copains, j’ai dit qu’elle pouvait pas à cause du travail. Elle s’est pas douté de rien, la maîtresse. J’avais beaucoup de 17 et de 18, c’est pour ça.
Un jour, y a plus eu de l’électricité à la maison. C’était pas rigolo. Je suis allé au magasin pour piquer des bougies, un autre différent de celui où je piquais de la lessive pour laver mes habits. Je les mettais dans la baignoire et puis je touillais très fort pour faire comme la machine. L’eau était froide. J’avais froid. J’avais peur. Je faisais mes exercices et révisais mes leçons à côté de la flamme des bougies. J’écoutais la télé des voisins en collant mon oreille au mur. C’était nul. Ils regardaient que des émissions que j’aime pas, où des gens crient et puis s’engueulent, ou alors qui font que parler, ou alors les informations.
Puis un jour, les voisins ont rapporté à la police, à cause que j’étais tout le temps seul et que c’était bizarre. Ils sont venus voir. Sur leur figure, ils avaient pas l’air de croire que je vivais tout seul sans ma maman. Ils m’ont demandé depuis quand qu’elle était partie. J’ai répondu que ça faisait deux ans et qu’elle était chez Annie. Ils m’ont demandé après quel âge que j’avais. J’ai répondu onze ans. De nouveau encore, leurs figures ont été toutes étonnées. Puis un des policiers a craché une insulte à propos de ma maman. Je lui en veux pas, parce que j’étais d’accord.
Je m’en suis voulu quand même d’avoir cafté parce que maman a eu des ennuis. Ils sont allés la chercher. Moi, on m’a envoyé dans une famille d’accueil. C’est des gens très gentils. L’eau est chaude ici. Et puis c’est plus fastoche pour apprendre les leçons avec de la vraie lumière.
Ils ont mis maman en prison pendant six mois. De partout que j’ai pu lire (j’ai internet dans ma famille d’accueil), beaucoup de gens sont choqués qu’elle ait fait que six mois de prison pour un tel crime. Après, il y a aussi beaucoup de gens qui disent que l’amour d’une maman, c’est le plus fort. Alors je sais pas si c’est bien vrai.
Beaucoup de gens aussi sont étonnés de ma débrouillardise, ils écrivent que j’irai loin dans la vie, que je suis déjà plus autonome que certains adultes. Ça me rend content. Mais j’aurais quand même préféré avoir une maman. Elle est venue me voir deux fois dans ma famille d’accueil depuis qu’elle est sortie de prison. Moi, je veux plus la voir du tout.
Hier soir, j’ai fait un autre cauchemar. J’étais dans le coin d’une chambre, et maman dormait dans son lit. Un monstre est sorti des ombres et s’est approché d’elle. Il a soulevé le drap. Elle a hurlé. Alors, il s’est lentement penché sur elle et a commencé à la dévorer. Les jambes battaient sous les couvertures, puis plus du tout. Du sang giclait sur les murs, y avait des bruits mouillés de mastication, des grognements horribles. Puis je me suis réveillé.
J’ai passé une journée magnifique.
ANTONIN GALANO
Son Site : https://perturbateurdendoctrines.wordpress.com/
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