Littérature : Itw de Richard Atlan autour de son livre autobiographique « Les Atlan, ceux de Bougie » (par Sacha)

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Itw de Richard Atlan autour de son livre autobiographique "Les Atlan, ceux de Bougie"

Richard Atlan a écrit plusieurs récits autobiographiques rassemblés dans son livre Les Atlan… ceux de Bougie. Ce livre nous plonge dans son enfance paisible avant les bouleversements de la guerre d’Algérie, au sein de la communauté juive berbère de Béjaïa, anciennement connue sous le nom de Bougie. À travers ses pages, nous découvrons des portraits attachants de sa famille, ses souvenirs d’enfance, son environnement, ainsi que les relations entre les populations juives et berbères avant et pendant la guerre d’Algérie. Le livre met également en lumière les nombreux points de convergence entre les juifs berbères et les populations kabyles, révélant une culture commune vieille de 2 000 ans. Auto-édité, le premier tirage de l’ouvrage s’est rapidement écoulé, et un second est déjà en préparation. Son livre est déjà diffusé à Paris, Strasbourg, Nevers, Saint-Étienne, et Lyon. Richard Atlan a été invité par de nombreuses associations et institutions culturelles pour présenter son œuvre autobiographique. Un grand merci à lui d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Nous espérons que ces échanges vous donneront envie de découvrir son livre.

 

 

1 – Ancien élu d’Ecully, directeur-adjoint de l’ANPE, et président de l’association écologique « La Fouillouse protégée », tu viens d’éditer à compte d’auteur plusieurs « Les Atlan… Ceux de Bougie ». Quelles ont été tes motivations pour l’écriture de ce livre ? Quel a été le déclic ?

Un évident « devoir de mémoire » envers ma famille et mes amis m’a conduit à rassembler mes notes intimes et les images qui trottaient dans ma tête depuis si longtemps.

J’ai décrit « la petite histoire » vécue des Atlan ; celle qui, hélas, a été balayée par la « Grande Histoire ».

Le port de Bougie

2 -Sur la page de couverture, il est écrit sous le titre : « récits autobiographiques de Juifs berbères aux racines éternellement mêlées ». Dans le livre, tu parles d’une histoire commune entre Juifs berbères et Berbères de plus de 2 300 ans. Peux-tu approfondir nos connaissances sur le sujet ? Quelles sont les origines communes entre ces deux groupes ethniques ?

 

Le livre donne des témoignages sur la mixité des Kabyles arrivés en Afrique du Nord il y a plus de 1500 ans, puis leur osmose avec des Juifs venus de la terre d’Israël, chassés par les Romains, et plus tard des Juifs séfarades chassés d’Espagne. Au fil des pages de la première partie du livre, les témoignages oraux et les portraits révèlent des ressemblances de caractère, de morphologie physique troublantes, et d’organisation clanique. Puis, la langue kabyle et la langue juive s’interpénètrent. Ainsi, ces Kabyles venus du nord de l’Europe (les Chleuhs berbères du Moyen Atlas appelés barbares puis « Berbères » par les Arabes) et les Juifs venus d’Orient vont se fixer au Maghreb et pour longtemps.

 

3 – Tu distingues juifs séfarades venus d’Espagne et juifs berbères dont tu revendiques l’origine de ta famille, les Atlan. Quelles sont les différences historiques entre ces deux populations ?

Le judaïsme d’Afrique du Nord, et donc celui des montagnes de Kabylie, est un mélange de plusieurs tribus juives de Palestine auxquelles se sont mêlés les « megorachim » (Juifs d’Andalousie). Notre famille de Bougie appartient au premier groupe.

 

4 – Dans le livre, à plusieurs reprises, tu cites une guerrière berbères juive, Kahina, peux tu nous évoquer son histoire ? Qui était-elle, et pourquoi juifs et berbères revendiquent son appartenance ? Était-elle amazigh ?

La Kahina est une femme réelle devenue mythique, souvent appelée « la Jeanne d’Arc kabyle » (présentée selon les historiens comme kabyle, juive, voire même chrétienne). Elle est une reine des Kabyles qui prend les armes en fédérant Berbères et Juifs pour repousser les envahisseurs islamistes. Après de beaux succès tactiques, elle périt sur le champ de bataille. Égérie, elle est alors encensée par l’histoire et la littérature comme un « symbole féminin » (Gisèle Halimi et les féministes du monde l’ont glorifiée).

Oui, courageuse guerrière, fière et libre, elle répond à la définition même de « Amazigh », c’est-à-dire « Homme libre ! ». Elle inspirera un temps les évolutions du droit envers les femmes, mais elle reste boudée par Alger, qui la juge trop kabyle et révolutionnaire…

Dihya ou Kahina (688 – 703)

5 – Le livre commence par l’évocation de ta grand-mère Messaouda Atlan, puis ensuite, l’évocation récurrente de ta mère, Odette. Sur la couverture, on te voit accompagné de ta sœur et de ta mère. Les femmes semblent avoir eu une place importante dans ton cheminement, peux-tu nous en parler ?

Le livre est dédié à ma grand-mère maternelle, Deeba Messaouda, née en 1883 à El Main, en hommage à son enfance dans les rudes montagnes kabyles, puis à son rôle de guide et de passeur pour toute la famille Atlan.

Mon enfance a été marquée par cet entourage féminin protecteur, comme une matrice ; les valeurs d’éducation et de culture étaient assumées par les femmes et conduisaient ainsi le jeune ado, armé pour son destin.

 

6 – Quant aux hommes de ta famille, tous ont été mobilisés durant la Seconde Guerre mondiale, à l’instar de ton père qui a rejoint les forces alliées et la France libre. À cette époque, de nombreux Pieds-Noirs soutenaient le régime de Vichy, et les lois créant des discriminations envers les Juifs furent appliquées. Finalement, Juifs et Musulmans en Algérie ont souffert du même racisme systémique des colons français ?

Les hommes de mon enfance étaient bien sûr là ! Travailleurs dévoués à leur famille nombreuse et à leur « patrie France » qui les avait émancipés un temps passé. On a tendance à croire en un certain machisme oriental. C’est faux ! Les vraies chefs de clan étaient plutôt les femmes, en toute discrétion et efficacité à la maison.

Notre famille Atlan s’est toujours distinguée des « pieds noirs », ces petites gens (souvent devenus indésirables) venus de France, d’Italie, de Malte pour y travailler un lopin de terre ingrate en Algérie ! Nous savions distinguer ces petits Blancs fermiers ou fonctionnaires des grandes familles agricultrices et propriétaires terriennes très riches (Borgeaud, Blachette) ou colons restés en France et qui faisaient fructifier terres et mines à distance.

Les Français d’Algérie ont hélas épousé la collaboration de Vichy et opposé aux indigènes arabes, kabyles et juifs une certaine déférence qui serait allée plus loin sans le débarquement allié de novembre 1942 et le retour du général de Gaulle à Alger, d’ailleurs favorisé par des résistants souvent juifs (Aboulker…) et des Atlan, certains de mes oncles !

Des hommes politiques racistes et antisémites ont ouvertement géré les institutions algériennes déléguées.

 

7 – Tu cites le décret Crémieux qui a permis d’octroyer la nationalité française aux Juifs d’Algérie, au détriment des populations musulmanes. Ne penses-tu pas que celles-ci aient justement ébranlé et abîmé les liens solides entre ces deux communautés berbères ?

Le Décret Crémieux de 1870, accordant globalement aux Juifs la nationalité française, a été un événement marquant. Les Arabes ont refusé en bloc la proposition, craignant une globalisation, la mainmise sur eux, voire un écart avec les principes de l’islam.

Les Juifs (35 000) ont accepté la nationalité française, y voyant une marge d’évolution de leur culture et un accès plus rapide à un monde occidental en pleine ouverture. Cependant, ils n’envisageaient nullement leur départ du département français d’Afrique du Nord. Plus tard, les Kabyles ressentiront un peu d’amertume en voyant leurs frères juifs préférer l’émancipation.

 

8 – Tu évoques tes souvenirs de jeunesse, notamment ton rapport avec les femmes berbères. On ressent une forme de douceur et d’amour lorsque tu décris ces femmes musulmanes voilées comme de « blanches colombes », évoquant une certaine forme de poésie et de pureté, je me trompe ?

« Mes blanches colombes » ces femmes arabes et kabyles, certes voilées parfumées et couvertes de « Henné » faisaient partie de mon environnement naturel dans lequel je me sentais bien ! Une de mes pages et portrait sentimental préféré évoque Aicha, la petite servante kabyle à 12 ans comme moi et elle est entrée sensuellement et pour toujours dans ma vie …

 

9 – La guerre d’indépendance de l’Algérie prend une place importante dans le récit, ce qui est disons atypique, c’est le fait d’avoir un troisième point de vu de ce conflit, celui des juifs, et plus exactement des juifs berbères. On sent une hésitation de positionnement vis à vis de celui-ci, mais on comprend qu’avec l’horreur des attentats aveugles de l’OAS et du FLN, l’inquiétude planait sur ta famille. Finalement, tu as été témoins des crimes de guerre commis par les deux partis ?

La révolution algérienne a bouleversé cette vie si douce entre communautés. Les « événements » de 1954 sont devenus une guerre atroce et meurtrière, la plus longue (7 ans) qui m’ait marqué ; la libération du Maroc ou de la Tunisie a été réglée en quelques semaines et sans morts ! Aussi, j’ai cherché les raisons de notre départ en mettant à égalité les actions criminelles et souvent aveugles des deux côtés (OAS et FLN). La révélation des camps de prisonniers dans une ferme près de Bougie est inédite et le fruit d’intenses recherches de ma part.

Oui, on peut dire que des « crimes de guerre » ont broyé les humains des deux camps (Bertolt Brecht).

 

10 – A travers tes lignes, on ne sent pas de rancune vis-à-vis des populations musulmanes liée à votre départ le 30 juin 1962, contrairement à de nombreux pieds-noirs, pourtant beaucoup moins légitimes historiquement, ai-je raison ? On retrouve de nombreux portraits touchants, même drôle, de membres de ta famille ou de proches. Que sont-ils devenu après le 30 juin 1962 ?

Mon récit, mes portraits d’anciens se veulent apaisés et même drôles, tels qu’ils étaient à mes yeux d’enfant rieur et tellement cajolé malgré notre pauvreté. Brutalement, trop brutalement, j’ai compris alors ce qu’était le « sens de l’histoire » !

Nous, les Atlan, avons rejoint les longs cortèges d’émigrés vers la France pour ma famille paternelle et vers Israël pour la branche maternelle.

 

11 – Pardonne-moi cette question, mais tu le cites dans le livre : tu es un petit cousin d’Eric Zemmour, l’une des figures les plus radicales de l’extrême droite française… Il représente tout l’inverse de ton discours humaniste et de vivre-ensemble. Comment expliques-tu cette totale opposition à tes principes et tes valeurs ? Lui-même est finalement berbère ? Que dire quand il glorifie le Maréchal Pétain comme étant un héros de guerre ayant sauvé des juifs ?

Concernant « le vilain petit canard » Éric Zemmour, je réponds « on ne choisit pas sa famille ni sa patrie », comme le chante Maxime Le Forestier.

Déjà il y a plus de 10 ans, j’ai écrit publiquement mes critiques contre lui et ses ambitions démesurées (voir mes blogs du Nouvel Observateur).

Moi, homme de gauche, élu socialiste et laïc, je lui reproche d’avoir blessé notre communauté et ma propre fratrie, qui compte deux parents Atlan arrêtés par Vichy et livrés aux nazis pour être gazés à Auschwitz, et de mêler maladroitement des réalités douloureuses à des élans politiques.

Il ne renonce pas à ses origines judéo-berbères, mais se voudrait encore plus français qu’un Bourguignon implanté depuis des générations…

 

Moïse Maïmonide (1138 – 1204)

12 – Avant la guerre d’indépendance, les Atlan semblaient vivre en harmonie avec les autres populations algériennes. Question un peu naïve, mais dans un monde de plus en plus en proie à la guerre et à la division, aurais-tu un message à faire passer sur le vivre-ensemble ?

Encore une excellente question sur l’ouverture de coexistence espérée dans le livre.

On sait que certains Juifs kabyles sont restés vivre en Algérie après l’indépendance de juillet 1962. Ils sont très peu nombreux et très discrets. Nous avons peu d’informations, mais à notre connaissance, les Atlan de Bougie sont tous partis (comme en témoigne « l’Association Ceux de Bougie » à qui je rends hommage pour son travail de mémoire sur les Bougiotes).

Le « vivre ensemble » a déjà existé et je pense à « l’Âge d’or » en Espagne médiévale où Maïmonide, rabbin et médecin, et le mathématicien arabe Averroès ont communiqué et porté les recherches philosophiques et scientifiques à un niveau jamais égalé.

Un autre exemple est celui de l’Égypte des années 1930, qui a connu une exceptionnelle paix et promiscuité entre Juifs et musulmans du Caire, à en croire les récits extraordinaires du livre « L’Immeuble Yacoubian », roman d’Alaa El Aswany. Ainsi, deux Juifs réfugiés en Égypte (les frères Effendi) ont tout simplement inventé le dessin animé cinématographique avant Walt Disney, en collaboration constante et sans moyens avec de modestes photographes arabes.

« La petite Jérusalem » c’était Sarcelles en France, vers 1970, ville dans laquelle les Juifs et musulmans ont vécu de délicieux et paisibles échanges dans la paix, rompue hélas aujourd’hui. Quelle prospérité quand les religions se taisent un peu ! Se respectent en retournant à leur vraie place, dans l’intime de chacun, de chaque humain.

 

13 – Et bien entendu, pour nos lecteurs qui souhaiteraient découvrir ton livre « Les Atlan… Ceux de Bougie », où peuvent-ils se le procurer ? En librairie, en le commandant sur internet ? Prévois-tu de réaliser des séances de dédicaces et de rencontres dans les jours ou mois à venir ?

Auto-éditeur, j’ai commencé seul à diffuser les contenus du livre sur les réseaux sociaux. Puis un réseau de grandes librairies a accepté le dépôt-vente (Paris, Strasbourg, Nevers, Saint-Étienne, Lyon), et il sera étendu vers le sud de la France.

Un dépôt-vente dans une librairie de Bougie est en cours d’autorisation par le ministère de la Culture et des Arts d’Algérie.

Merci à tous les professionnels de la communication comme Foutou’Art, Radio J Lyon et Le Progrès de nous aider à communiquer pour faire lire le livre.

 

Richard Atlan, 15mai 2024

Pour commander Les Atlan… ceux de Bougie, contactez directement l’auteur à l’adresse suivante : richard.atlan@gmail.com

 

Propos recueillis par Sacha

 

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