Poésie : Cuvette (par Laurent Bouisset)
a
Cuvette
a
les poètes parlent entre eux du monde ?
rarement… rarement…
les poètes parlent entre eux de poésie ?
rarement… rarement…
les poètes parlent entre eux de quoi alors ?
ben du « monde poétique »…
c’est quoi ?
c’est en gros une cuvette des chiottes
a
avec la majeure partie du troupeau
dans la merdouille au fond du trou
qui tend les bras
harasse le vide
mais ça monte pas
a
et puis… quoi donc ?
a
une belle couvée d’avortons
accrochés à la faïence
qui travaillent dur à leur réseau
écrasent des mains
des têtes ou pire
pour pouvoir remonter
d’un grade ou deux vers la lunette
et peut-être un jour
exulter aux avant-postes
a
sous l’arrière-train de prix
des rares nantis assis
sur le Saint-Siège
a
frimeurs abscons
ne disant pas bonjour sans intérêt
à l’envi adulés
massés
enviés
mieux encore : insultés minablement
par ceux d’en bas (ça leur fait
des guilis sous les orteils)
a
mais qui ne sauraient remonter
leur pantalon tirer la chasse
car à l’extérieur des toilettes
ils sont de l’air…
personne les voit !
a
il leur faut la cuvette pour être en bois
il leur faut les relents
de ce « monde poétique » petit étroit
pour pouvoir opposer
à leur faiblesse une bite de roi
a
et à part ça ?
on va parler du monde un peu enfin ?
ou on reste aux chiottes entre nous
et on s’y noie ?
a
Laurent Bouisset
a
c’est la viande qui fait ça
tu crois visiter et tu ne fais que passer
tu as un code
tu as un casier
tu as la chance de rencontrer des petites nanas sympas qui te montrent les gestes qui vont te transformer en robot
y a des émotions qui sont des chocs organiques
y a des réactions terribles qui sont comme des crises
y a des animaux qui s’arment de couteaux
tu veux pas être là
tu veux pas faire ça
tu peux pas partir
tu n’as rien d’autre
tu oublies
tu t’habitues aux sales parfums qui font fuir le sommeil quand ton corps est froid la nuit
rendement rendement
calcaire dans certains os qui en meurent
tu n’as pas le temps pour les enfants
tu n’as pas le temps pour lire le contrat moral
les petits secrets à garder par-devers soi
les astuces bien dégueulasses de la direction qui rigole de ses propres blagues
blagues
ça veut dire aberrations en vrai
les améliorations mécaniques qui aggravent les conditions de travail
c’est la viande qui fait ça
la spirale infernale pour rentabiliser les investissements
c’est la viande qui fait ça
les parts de marché gagnées qui au final font perdre de l’argent
c’est la viande qui fait ça
et puis petit à petit ta tête s’éteint
tu regardes les chiffres
tu regardes les anciens
tu regardes le système des primes
et le cadre qui te bouscule exprès pour te faire disjoncter
et le délégué qui ferme sa gueule au lieu de faire remonter les infos à la médecine du travail
personne ici ne va jamais jusqu’au bout
le jeudi tu deviens dangereux pour toi
dangereux pour toi et pour tes collègues
dangereux
ça veut dire inapte en vrai
une vie que tu ne connais pas commence
brûlure bleue à l’intérieur
HF