LES CHRONIQUES D’ANTONIN GALANO : A Tombeau ouvert

 

 

 

Antonin Galano se lance dans un nouvel exercice où la frontière entre réalité et fiction est aussi fine que délicate, et c’est précisément ce que propose cette nouvelle rubrique ! Notre écrivain excentrique se penche chaque semaine sur un fait divers afin de tisser une histoire à partir de celui-ci. Aujourd’hui, son imagination l’amène à combiner une réelle et sordide histoire de profanation douteuse (à qui profite le crime ?) d’un cimetière de Dordogne, et y incorpore une situation absurde, trash et FICTIVE : de pauvres types célibataires prêts à tout, et surtout le pire, pour assouvir leurs basses besognes.

 

 

 

A Tombeau ouvert

 

Au départ, je disais ça pour déconner.

On buvait une pinte avec mon pote Sacha dans un bar de Périgueux. Il est originaire de là-bas. C’est l’éditeur aspirant d’un petit journal. Depuis quelques années, il cherche à joindre les deux bouts en le distribuant dans les librairies du coin. En attendant, il est à payolle, au dernier cran de la ceinture. Moi, j’ai atterri dans ce trou à rats pour une excellente mauvaise raison, la suprême, la classique raison : une nana. Aujourd’hui, la nana en question est barrée dans un petit bled des Alpes, elle a acheté une baraque avec un gusse, cadre dynamique ou consultant bien-être en entreprise, une connerie du genre, ils ont pris un chien et bien sûr, ils songent à pondre des chiards une fois qu’ils seront entraînés avec le chien. La dolce vita. Mais c’est une autre histoire.

 

On buvait une pinte, donc. Comme d’habitude, Sacha a sorti les trompettes à propos de ma dernière chronique. Il aime bien en faire des caisses. « T’es le meilleur chroniqueur depuis Desproges ». C’est flatteur. Je préférerais qu’il me paye, plutôt, mais passons. Au moment de commander une seconde tournée, il a baissé le nez dans son verre vide, tout cafardeux.

 

– Ça va ?

– Mec… J’ai pas baisé depuis un bail, c’est la galère.

– Un bail, c’est-à-dire ?

– Plus d’un an.

– Merde…

– Ouais. J’en suis arrivé à un point où j’ai plus que deux critères : qu’elle soit vivante et consentante.

– T’es trop exigeant. Avec le critère « morte », tu pourrais te passer du consentement.

– C’est pas con. Mais où est-ce que je peux dénicher une morte ?

– Dans un cimetière. Ou à une séance de dédicace de Foenkinos.

 

Je suis parti pisser après la seconde pinte. C’était des chiottards à la turque, puants, maculés de vingt couches de merde. Avec mon jet, j’ai essayé d’en décoller quelques morceaux. Quand je suis revenu, Sacha était en train de bouquiner le Sud-Ouest, le canard local. On était dans un bar à l’ancienne, ceux avec le journal du jour puis le Rapido en boucle sur les écrans, les alcoolos rubiconds accoudés au zinc et l’odeur de cacahuète dans les courants d’air. Sacha était en train de consulter la rubrique mortuaire. Je l’ai regardé sans rien piper. Il semblait très concentré. Il passait d’un avis de décès au suivant, méticuleux. Rien de choquant. Les gens font ça. Des fois qu’on tombe sur un nom familier, ça fait toujours plaisir. J’ai levé les yeux.

 

Au bout du zinc se tenait une nana plutôt pas mal, typée Caraïbes avec le bon cul bien bombé dans un baggy, des dreads jusqu’aux épaules et de petites lunettes rondes fumées en orange. Elle avait un style, une espèce de classe. À force, elle a dû sentir que je la matais puisqu’elle s’est tournée vers moi. J’y ai adressé un sourire. Elle a répondu d’une moue goguenarde avant de retourner à son ballon de rouge. Sacha était toujours à sa lecture. J’ai bu une gorgée.

 

– Là !, qu’il a gueulé avant de tourner le journal dans mon sens.

 

Du doigt, il a pointé un avis de décès. Clara Parédès, 27 ans. Elle sera enterrée à Clermont-d’Excideuil demain après-midi, à une quarantaine de bornes de Périgueux.

 

– On va voir ?

– J’espère pour toi qu’elle est pas morte dans un accident de bagnole.

– Les thanatopracteurs font des miracles, maintenant.

 

On a continué de boire jusqu’à la fermeture, c’est-à-dire jusqu’à que la patronne nous jarte, sur les coups d’une heure du mat. On a titubé jusqu’à ma voiture, une vieille Ford Fiesta. Au bout d’un ou deux kilomètres, j’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de routes dans le parebrise. J’ai fermé un œil. C’est redevenu normal. J’ai accéléré.

 

Je me suis garé pas loin de la chambre funéraire. On a chacun enfilé un masque covid, des antiquités effilochées qui traînaient dans ma boîte à gants (pour les potentielles caméras), puis on a fait le reste du chemin à pied. On a trouvé une entrée à l’arrière en contournant le bâtiment. Fermée. Sacha est parti prendre mon cric dans le coffre puis il a explosé le double vitrage de la porte avec. C’est scandaleux qu’il n’y ait pas d’alarme dans un endroit pareil, que je me suis dit. On s’est frayé un chemin à petits pas dans les ombres avec la lampe des téléphones. Il y avait deux chambres, la « lavande » et la « tilleul ». Clara était dans la « lavande ». On a poussé la porte. C’était ouvert !

 

La pièce était nimbée d’une atmosphère feutrée, douce, propice au recueillement. Clara reposait sous un linceul immaculé, les mains jointes au niveau de l’estomac, entourée de dizaines de couronnes multicolores et de fleurs empotées, en attente de son ultime lit du soir. Elle avait un teint de porcelaine. Dans la faible lueur des loupiottes, c’était comme si elle émanait l’éclat des vivants endormis. Sauf qu’elle était bien raide. Le linceul ne bougeait pas. Sacha a paru hésiter, puis il a roulé un joint pour se donner le courage. On se l’est fait passer au chevet de Clara. Il a longuement regardé le visage inanimé.

 

– Mignonne, non ?, qu’il m’a fait.

– Pas mal, ouais.

– Quel gâchis… 27 piges… Je me demande comment elle est morte ?

– Va savoir.

– Ça doit être terrible pour les parents.

 

Là-dessus, il s’est levé, m’a tendu le joint et trifouillé sa braguette. C’était le signal. Je suis sorti. Cinq minutes plus tard, j’ai entendu un boucan pas possible. Sacha m’a rejoint quelques minutes après.

 

– T’aimes l’amour qui envoie, hein ?, que j’ai taquiné.

– Même pas. Je me suis pété la gueule dans les vases.

– C’était bien ou moins ?

– Bizarre. Froid. Rigide. Mais j’ai connu des vivantes qui bougeaient moins qu’elle.

 

On a regagné ma voiture puis Sacha s’est stoppé net à la portière, horrifié.

 

– Merde, mec… Merde ! J’ai fait le con…

– Elle portera pas plainte, t’en fais pas.

– Non, non, je veux dire…

 

Il a pointé son entrejambe puis a mimé un zgueg qui crache la purée.

 

– Et elle, elle a joui ?

– T’es con. Non, je veux dire, j’ai déchargé dedans.

– Elle viendra pas te demander une pension alimentaire non plus.

– Non, mais… mon ADN… Et avec le bordel que j’ai foutu, la porte d’entrée explosée… Ça craint, non ? Ils vont faire une enquête, c’est sûr…

– T’es fiché ?

– Bah ouais, je me suis fait prendre les paluches à cause d’un vingt euros de shit

– Le rédac’ chef devenu violeur de cadavres. Ça ferait une bonne pub pour ton magazine.

– C’est pas un viol, tu l’as dit toi-même.

– C’est ce que les journaux écriront.

– Merde, mec… Merde !

 

De guilleret, Sacha a viré paniqué. Il tenait pas en place, une vraie pile. Il faisait des plans paranos sur la comète, dix mille situations catastrophistes qui conduisaient invariablement à son arrestation. Ça a duré tout le trajet du retour. Voilà où un coup de queue malencontreux peut vous mener.

 

Il a eu une idée alors, comme on rentrait dans Périgueux : la bonne vieille technique de la diversion. J’ai attendu Sacha en bas de chez lui. Il est redescendu le temps de le dire avec un sac à dos. Dedans, il m’a montré deux bombes de peinture avant de m’expliquer son plan. Ça tenait debout. On a refait le trajet en sens inverse, à toute blinde. La nuit était encore longue pour nous.

 

On est arrivé au cimetière de Clermont-d’Excideuil. On a escaladé la grille puis on a commencé notre œuvre. L’idée, c’était de profaner grossièrement les tombes, que ce soit spectaculaire et accrocheur, que tout le monde se concentre sur ça et pas les dégradations dans le funérarium. Forcément, on a impliqué l’Islam. Ça marche toujours fort.

 

On a tagué « Allah », « gwers », « kafir » sur certaines tombes, « Ramadan mubarak », « la France est déjà à Allah », « soumettez-vous à Allah » sur des calvaires, le monument aux morts et la porte de l’église. À un moment, il a même osé « l’ours musulman se réveille ». Je me suis marré.

 

– « L’ours musulman », sans déconner ? Aucun muslim jacte comme ça.

– Justement ! C’est tellement gros que les gens vont s’imaginer que c’est des fachos qui se sont fait passer pour des musulmans. Ou encore plus fort, que c’est des gauchos qui se sont fait passer pour des fachos qui se sont fait passer pour des musulmans.

– Une inception de complots, quoi.

 

On a continué jusqu’aux prémices de l’aube, puis on est retourné à Périgueux. J’ai déposé Sacha chez lui puis j’ai continué. Le jour se levait en plein quand j’ai passé ma porte d’entrée. J’ai pris une bière dans le bac à bières puis je me suis allongé dans le lit et l’ai sirotée lentement en fixant le mur.

 

Je le répète : au départ, je disais ça pour déconner.

 

Antonin Galano

Son Site : https://perturbateurdendoctrines.wordpress.com/

 

 

Et si vous aussi, vous voulez contribuer à la Grande Aventure Foutou’art 🙂 ,

envoyez-nous un don, même 1€ !!! Via Paypal en cliquant sur le bouton ci-dessous :

Et nouliez pas d’aller faire un tour dans notre boutique (clic, clic, clic) !!!

 

Previous post Crabouillons du Jour : « L’actu de la semaine croquée par Foutou’art (par Vitrificator et Jerc)
Next post Lancement du Babouin Dingo ! Commandez dès maintenant !!!