Littérature/ Les aventures de Minou et Paddock : N°5 – Fais soif, père Ubu (par Anne Andrée-Roche)
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Les aventures de Minou et Paddock
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Minou avait pris un amant. Il ne valait pas trempette mais il lui présenta Paddock au coin d’un bar. Ils vivent dans les Landes et tous les deux aiment les richesses de ce pays. Je vous livre leurs aventures. Tout n’est pas vrai mais rien n’est faux. Et si un jour, vous passez par Mont-de-Marsan, l’un ou l’autre serait ravi de vous recevoir… Je vous dis l’un ou l’autre car les deux ensemble, c’est intenable !
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Fais soif, père Ubu
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Cet été-là, Minou s’absenta souvent, elle fit bien deux ou trois fois son tour de France. Elle n’avait pourtant ni la pugnacité des gilets jaunes qui continuaient leur lutte dans l’indifférence du peuple, ni la combativité des coureurs cyclistes qui font la joie des sportifs en fauteuil. Elle voyageait simplement seule contre la montre. Minou privilégiait sa famille et ses activités littéraires, laissant même en berne ses amours. Mais elle comptait bien, l’automne venant, rattraper ces négligences-là. Lors de ses courts séjours estivaux chez elle au bord de son cher Adour, elle retrouvait toujours avec bonheur son collègue qui mettait les bouchées doubles pour profiter de ces moments ensemble qu’ils finissaient souvent à Labastide d’Armagnac pour un rafraîchissement au Bastignac, une affaire de famille remplie de convivialité.
Paddock montra alors des clichés de l’établissement qu’il avait pris la fois précédente alors qu’il traînait dans les parages avec sa solitude. La nature imposant sa loi, elle lui avait alors dicté l’ordre impérieux de visiter les toilettes. Paddock avait été séduit par l’ambiance dégagée du lieu, la lumière intimiste qui poussèrent Minou à aller profiter à son tour du petit coin. Un petit coin comme tous les petits coins, cependant agrémenté de quelques fleurs discrètes. Dans le minuscule vestibule, il y avait bien au bas des escaliers, le bureau avec son livre d’or. Sur le palier à l’étage : un guéridon. Tout y était comme sur les photos qu’elle venait de regarder mais la magie de l’éclairage avait disparu. Ce n’était pas la bonne heure, pas le bon jour. Pas le bon œil ? L’endroit lui-même était moins prometteur que les photos de Paddock. Minou le soupçonna d’avoir du talent, le bougre ! Mais sur le guéridon, était apparu un coq colossal, le jabot bombé, la queue redressée sur le corps. On ne voyait que lui…
– A ton tour ! fit Minou sans autre forme de pudeur.
– Mon tour de quoi ? interrogea Paddock.
– D’y aller ! insista Minou. Histoire de voir…
Quand Paddock revint sur la terrasse, il traînait sa carcasse, déçu de l’effet qu’il avait perçu cette fois de l’endroit.
– Et alors ? fit Minou
– Rien ! répondit Paddock de sa grosse voix d’ours
– Rien ! Rien ? insista Minou
– J’ai pissé, fit Paddock qui continua ainsi : « Tu as raison, c’est décevant ! »
– Mais encore ?
Minou attendait qu’il lui parlât du coq mais rien ne venait. Elle l’interrogea, le mit sur la piste mais Paddock n’avait rien vu, pas une plume. Elle le renvoya illico. Paddock bougonna mais il obtempéra. Il ne voulait surtout pas contrarier Minou de peur de la cabrer pour le reste de la soirée et pour laquelle il avait quelques projets. Puis il y retourna une troisième fois avec son appareil pour prendre l’animal. Minou s’amusait de voir les clients se demander ce que son binôme trouvait de si fascinant à ce lieu d’aisance. Elle ne manqua pas de porter un toast à la sagacité de Paddock qui avait pour l’occasion, commander deux verres de rosée.
– Je ne suis pas comme toi à chercher la petite bête sous un tas de fumier ! se défendit Paddock.
– Continue à me faire rêver en créant des beautés invisibles aux communs des mortels, fit Minou en riant encore de ce photographe qui ne voyait pas l’énormité des réalités, incapable donc de la suivre dans ses investigations politiques.
Un artiste ! C’était là, leur grande différence. Les yeux moqueurs de Minou pétillaient au travers de son verre en réponse au sourire de son partenaire qui finissait son breuvage…
Il fut un temps où les bars étaient nombreux à Labastide, on en voit encore quelques traces d’enseignes. Il y a une centaine d’années, le bar Chantant proposait des distractions au rythme du cancan. On y jouait, on s’y rencontrait, on y menait la belle vie avec des femmes de mauvaise vie qui mettaient du rose aux bleus à l’âme de leurs clients. La faim aiguisée par une dentelle, une cuisse légère, Paddock serait rentré dans la danse, ne sachant plus à quels seins se vouer. Minou se l’imaginait avec une canne à pommeau doré et un melon sur la tête ou plutôt en prolétaire le cou serré dans un foulard rouge, le tout rehaussé d’une casquette.
Labastide était sans doute à l’époque, plus bruyante tout au long du jour jusque tard dans la soirée quand aujourd’hui la webcam installée du côté de la fontaine à bras, montre souvent une place vide de chalands, hors les festivités. Ne pouvant décemment accumuler tous les vices, Paddock sobre comme un chameau, aimait les endroits calmes où l’on s’entendait causer. Ce jour précis était d’exception, c’était jour de retrouvailles mais c’est autour d’un Perrier le plus souvent qu’ils s’attablaient. Ordinairement, Paddock devisait avec Minou intarissable sur mille sujets ponctués de longs silences de création et d’idées tordues. Les deux complices restaient là, face à face. Ils se regardaient, Minou ébauchant une nouvelle histoire, Paddock, les yeux perdus dans ses pensées et le corsage de sa collègue qui continuait :
Le village fait l’effet d’un modèle de bastides avec ses couverts qui courent tout autour de la grande place défoncée de terre. De sa fondation pourtant, il n’en reste que le plan originel et quelques vestiges de sa création, pas même son nom initial, Bologna qui selon la tradition, plaçait la communauté sous le parrainage protecteur d’une ville hispanique ou italique. La guerre de cent ans et celle de la religion accablèrent la bastide qui se refit une jeunesse dès l’aube du 17ème siècle au lendemain de l’assassinat du bon Henri de Navarre qui séjourna quelquefois chez son ami Malartic au coin de la rue de la Chaussée et de la place principale, dite royale sur l’idée née sans doute un jour, dans l’esprit d’un conseiller municipal cultivé comme un ceps de vigne.
Si Henri n’était pas encore roi quand il ajustait sa fraise[1] devant les fenêtres donnant sur la place, s’en inspira-t-il pour les plans de la première place royale du royaume de France ? Morbleu, que nenni ! Il préférait sans doute s’incliner aux charmes d’une passante. Henri IV confia l’édification de la première place royale, connue depuis un caprice de Napoléon, comme la place des Vosges au frère de celui qui supervisa le chantier de la place ducale de Charleville. Normal que cette dernière fut l’inspiratrice de la première place royale du royaume de France, mieux que la modeste place d’une bastide perdue dans le sud-ouest !
Labastide se dota pompeusement d’une place royale. Place royale ! Mais oui mais c’était vrai, Minou n’avait pas la berlue ! On avait osé ! Une plaque émaillée bleue ! Énorme ! Astiquée ! Fière comme une supercherie ! Minou explosa alors. Paddock surpris, postillonna une partie de son verre sur les mains de sa partenaire qu’il s’appropria d’un coup sans savoir si ce fut un geste affectueux ou une camisole pour retenir la colère subite de Minou. Comme si le village avait besoin de se grimer des dorures du mensonge ! Un anachronisme colporté dans toutes les études officielles telles que celle de 2004 en amont du plan communal. Minou argumenta pendant un bon quart d’heure sur les caractéristiques de ces places royales honorant l’absolutisme de Henri IV à Louis XV, Louis XVI se contentant brièvement, après y avoir abandonné sa tête, de la place dédiée primitivement à son père. Sacrée place de la Concorde flanquée d’un obélisque arraché à l’Égypte. Toutes les places royales ne brillent donc pas par la noblesse du comportement humain, bien loin du charme du lieu où Paddock se repliait sur sa chaise comme un gros chat attendant que l’orage passe.
Minou épilogua sur les caractéristiques d’une place royale annonçant la symétrie architecturale du grand siècle et le pouvoir absolutiste des rois de France, que Minou ne manqua pas de qualifier de décadent. Elle abhorrait ces erreurs grotesques alimentant éhontément le roman national pourrissant les plaquettes touristiques et trop souvent les manuels scolaires, arguant que trois siècles rien que cela, séparaient la construction des bastides autour d’une place centrale et ces vastes espaces équestres. Elle aurait continué encore si Paddock ne lui avait pas proposé le détour par un vieux bistrot réservé aux habitués et aux curieux. C’était jour de retrouvailles, je vous rappelle ! Pas de conclusions hâtives, chers lecteurs. Quoique c’est dans les meilleurs bistrots pouilleux qu’on apprend le mieux le paysage local.
Colette est la dernière des Tortoré, une lignée aussi longue que l’âge de la Bastide. C’est une jeune fille de quatre-vingt-six ans qui vous sert le coup, une boite en fer blanc en place d’un tiroir-caisse. Le Tortoré est à l’abri d’une venelle écartée des axes empruntés ordinairement. Le Tortoré, ça se mérite ! Le temps s’est arrêté aux années cinquante. Quelques tables et des chaises sous la treille. On ose à peine entrer. Des intrus ! On passe alors la tête seulement pour voir et puis on y va un peu gêné. Trois joueurs ! Qui fera le quatrième ? Un habitué en retard au rendez-vous. L’équipe est constituée. Dans le café, seul le frigo américain est l’objet du futur. Pour une pièce, on s’offre un verre, un de ces verres épais qui a traversé plusieurs générations de soiffards. Ébréché, celui-ci fera l’affaire. Il y a une femme qui photographie, Paddock reste sur la réserve. Ce n’est pas un zoo mais on aimerait immortaliser le moment… Le temps des troquets est compté. Un jeune couple s’est perdu, il fait la moue, se pose sur une fesse, le banc est bancal mais on est bien dans cette ruelle. Qu’est-ce qu’on commande ? Un floc. Un blanc ou un rouge ? Les deux, mon ami. On trinque : au roi Ubu ! Vive le roi sur un cheval à bascule pour la place royale. Une idée que Minou proposerait bien au maire de la commune. Paddock soupira de l’entêtement de sa comparse. On échange les verres pour comparer les flocs, un baiser pour sceller une soirée qui commence. On est bien, on ferme les yeux, le soleil décline plaisir à tous les modes. On baisse le rideau…
Anne Andrée-Roche
Ses sites : http://tambour40270.e-monsite.com/# et http://ann-m-editions.e-monsite.com/pages/
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[1] Epaisse collerette portée autour du cou.
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