Littérature/ Les aventures de Minou et Paddock : N°3 Le Cazérien (par Anne Andrée-Roche)

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Les aventures de Minou et Paddock

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Minou avait pris un amant. Il ne valait pas trempette mais il lui présenta Paddock au coin d’un bar. Ils vivent dans les Landes et tous les deux aiment les richesses de ce pays. Je vous livre leurs aventures. Tout n’est pas vrai mais rien n’est faux. Et si un jour, vous passez par Mont-de-Marsan, l’un ou l’autre serait ravi de vous recevoir… Je vous dis l’un ou l’autre car les deux ensemble, c’est intenable !

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Le Cazérien

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Minou avait connu l’endroit des années auparavant. Deux ou trois après-midi d’été, un verre partagé avec son mari. Puis l’établissement fut longtemps fermé. Les anciens tenanciers s’allaient prendre alors leur coup au chef-lieu de canton, sous les arcades de Grenade, le samedi, le plus souvent quand toutes les tables du Fair-Play étaient occupées par les habitués. Puis, ils disparurent tout simplement du paysage. Minou et Joseph déménagèrent alors dans un coin où les nuages avaient croqué le soleil…

Le temps avait passé.

Revenus dans les Landes, le pays auquel Joseph avait été si attaché qu’il choisit d’y mourir, Minou liée à Joseph attendrait son tour en savourant encore l’existence comme elle le lui avait promis. Le seul fruit auquel Minou goûta encore véritablement, était l’écriture. Et pourtant, elle se contentait d’exécuter quelques travaux de commandes. Elle avait des projets personnels bien avancés mais l’énergie lui manquait. Désormais seule, elle avait du temps, du temps pour elle sans avoir à en rendre compte mais elle le piétinait en tournant en rond, cherchant une chose qui lui fut amputée. Elle commençait à comprendre qu’on ne lui rendrait pas cette chose, qu’il faudrait apprendre à faire sans. On lui fit des propositions. Mais comment dire… les jambes de bois sont parcourues d’échardes et les béquilles, froides comme un vague relent d’amours mortes.

Minou se posait souvent à l’hôtel de France, place des Tilleuls à Grenade. Elle commençait un verre, observant les passants et les consommateurs, comme un chat alléché par une proie qui ferait l’affaire pour une prochaine histoire. Minou n’était pas un félin solitaire, on rapprochait sa chaise, on entamait la conversation et si Minou était d’humeur, on finissait par partager son repas avec elle mais la tablée finissait souvent à six pour se disperser quand le serveur les chassait avec son balai. C’est Paddock qui lui proposa de réserver une table au Cazérien dans un village voisin. Il avait à causer dans le calme en tête à tête… Minou avait le sens des affaires, c’est d’ailleurs le seul qui lui restât. Le suivant qui lui tournerait la tête n’était pas de ce monde. Elle restait sur la défensive mais elle était curieuse, elle accepta.

L’établissement est bondé le midi, c’est pourtant une ambiance sereine qui s’en dégage. La glycine enlace comme autrefois les larges colonnes d’albâtres enveloppant sans doute de moyenâgeux moignons de bois, reliques des voûtes de cette bastide dont il ne reste rien, qu’une place déserte avec un puits fermé pour vestige. Le restaurant occupe l’angle ouvrant le passage vers le sud. A l’entrée de Cazères sur l’Adour, sur la départementale, une pharmacie, à sa sortie une boulangerie. Une épicerie, la poste et même un salon de coiffure. En contre-bas de l’église, la mairie dans son écrin de verdure.

Malgré le trafic routier, il y a une magie qui se dégage du lieu, une âme de femmes à la fois subtile et énergique. Une folie de couleurs acidulées, des sièges dépareillés se mariant admirablement dans un entrelacement de plantes vertes. L’agencement ne doit rien au hasard, la patronne est dans chaque objet posé là, mine de rien comme un clin d’œil. C’est Pâques en pleine été ! Sur la commode lasurée de gris, des lapins roses et mauves entre des pots, des verres, des salières, des boites de sardines vides servant de cendriers. Et un chien peluche comme groom posté à la porte. Laissé sur le sol, aucun client qu’il soit un habitué ou de passage ne bouscule l’animal.

Le Cazérien n’est pas un routier, ce n’est pas un salon de thé. Un bistrot de campagne. Minou s’approprie une place sur la terrasse fermée, dans le coin gauche. Deux fauteuils crapaud. De quoi engager la conversation et la poursuivre surtout. La salle est pleine. Dehors, chaque siège est occupé. Malgré le bruit des fourchettes et les paroles échangées entre les autres clients, Minou glisse dans l’intimité de son assiette. Paddock parle de ses expositions de photos, de ses projets, puis il lui raconte une histoire exotique, une fascinante histoire vraie. Paddock propose des sujets, un coin où fureter, des idées à développer. On discute, on se livre : Paddock… un peu. Minou… pas du tout. Elle se contente depuis des années, d’écrire mélangeant sans retenue ses aventures vécues, teintées de mensonges à des fictions si bien inspirées de la réalité qu’elles doivent suffire au lecteur attentionné pour s’approprier au travers de ces textes, le personnage mystificateur de Minou… L’après-midi s’étire comme les chiens qui attendent que leur maîtresse ferme enfin l’établissement. Minou ne résiste pas aux avances de ces attendrissantes bestioles…

Les amants, ça passe comme un bon café, le sucre disparaît dans le breuvage qu’on déguste à petites gorgées. Puis ne reste finalement qu’une tasse, une jolie tasse mais une tasse vide bien proprette qu’on range sur l’étagère avec les autres. Des amis ! Minou ne serait rien sans leur soutien. On se serre les coudes, une épaule qui accueille les chagrins, une main qui soude, une écoute… Si les amours de Paddock sont heureuses, Minou ignore les amitiés qu’entretient son partenaire de jeu. Minou est veuve et sa vie simplement, ce sont ses enfants. Minou a tout et plus. Il ne lui manquait peut-être qu’une complicité au goût inconséquent de l’enfance.

C’est au Cazérien que ces deux-là ont trouvé leur bac à sable sans que ni l’un ni l’autre s’y ramassent un râteau. Ils y retournent volontiers. Ils y retourneront, laissant les langues se dérouler comme un ruban de bave de Carcoilh. Ils en rient encore….

Anne Andrée-Roche – Lyon – 30/07/2019

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Anne Andrée-Roche

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