Fiction : Les vacances d’Antonin Galano (par Antonin Galano)

 

 

 

Depuis la mort de Cabu, les beauf’s se pensaient en sécurité et libres de continuer à s’épanouir dans l’univers sans frontière de la connerie humaine. Plus personne n’était là pour pointer du doigt leur intarissable bêtise. C’est bien dommage pour eux, car notre Antonin Galano semble avoir repris le flambeau pour le meilleur, mais surtout pour le pire…

 

 

 

Île de Djerba, Tunisie, 10 Juillet 2019 (10 Juillet 1449 ap. Mahomet, heure locale).

 

Pour les congés payés de cette année, j’ai voulu éviter de m’agglutiner auprès des masses glougloutantes communes, celles qui suintent d’inélégance et de mauvais cholestérol en grommelant sans tarir leurs luxueux inconforts, la couenne populaire saucissonnée dans un short à fleurs ou un paréo à motif épileptique, donc j’ai misé sur une destination atypique. Après avoir longuement hésité entre la Corse, Majorque et Ibiza, j’ai finalement choisi le club Med d’Aghir sur l’île de Djerba.

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On peut dire ce qu’on veut mais le coin est vraiment magnifique. Les paysages sont semblables à ceux des cartes postales photoshoppées et on se prend à découvrir des couleurs d’outre-monde paradisiaque : les eaux sont d’un turquoise translucide, les plages d’un blanc immaculé et les femmes d’un bronzé de cuivre rodinien. Seule ombre à la sculpture, et que les agences de voyage dissimulent avec soin pour ne pas effrayer l’occidental : la Tunisie, c’est rempli d’arabes.

 

On sait déjà qu’ils ont envahi nos villes et nos campagnes, venant jusque dans nos bars fêter leurs victoires en agitant drapeaux et foulards, mais force est de constater qu’ils ont également colonisé nos stations balnéaires sans la moindre espèce de vergogne. Le plus outrageux, c’est quand je leur fais remarquer sans racisme – j’ai un ami malgache – qu’ils sont de trop en ces lieux d’agrément de la civilisation avancée : comme toujours avec ces gens-là, ils s’emportent sans fard et m’éructent des malédictions gutturales aux tonalités courroucées. Franchement, s’ils sont pas contents, ils ont qu’à rentrer chez nous.

 

Alors que je sirote une énième piña colada à même le transat, un mouvement de panique agite la plage. Spontanément, je pense à un requin et ça attise ma curiosité. Je veux dire, je n’ai encore jamais eu l’occasion de voir un surfeur cul-de-jatte en chair et en sang. Cependant, ne voyant pas non plus de grandioses gerbes d’eau aux éclaboussures vermeilles ni de monstrueuse nageoire caudale frappant la mer entre deux soubresauts prédateurs, j’en conclus que ce doit être autre chose. Pourtant, ça se carapate sévère hors de l’eau et gueule dans tous les sens en agitant les bras. Un terroriste-grenouille, peut-être ?

 

Un premier cadavre bleui et boursoufflé s’échoue alors délicatement sur la plage. Puis un second, porté par le roulis d’une vague particulièrement puissante, vient finir sa course sur la construction de sable d’une petite tête blonde bien de chez nous qui se met à brailler parce que n’a-cassé-mon-châto. La rumeur enfle : un bateau de migrants libyens s’est échoué au large il y a une dizaine de jours et Poséidon, dans sa grande mansuétude, les recrache à présent au compte-gouttes après avoir aspiré leurs souffles vitaux jusqu’à plus soif. À ce qu’on dit, il y aurait une centaine de morts. Je recommande une piña colada et prend une photo du cadavre dans le château de sable avec mon iPhone X. Avec un peu de chance, ça pourrait faire une Une géniale quand je rentrerais au pays. On voit par-là mon indécrottable candeur : pour faire une Une, il faut encore que le sujet intéresse quelqu’un.

 

On a tendance à l’oublier mais la baignade au milieu de cadavres de migrants, c’est bien plus désagréable qu’au milieu d’un banc de méduses, par exemple. D’où le mouvement de panique. En effet, si on touche une méduse, il suffit de pisser dessus ; si on frôle un cadavre de femme enceinte tripolitaine, il faut de l’antibactérien. Et pour trouver de l’antibactérien en Tunisie, bonjour. Enfin, assalamu alaykum, je veux dire.

 

Pendant que les pêcheurs de daurade, reconvertis en repêcheurs de macchabée (un métier en plein boom), s’affairent à nettoyer la mer pour ménager le bien-être des touristes, j’apprends que cet incident est loin d’être une première. C’est bien simple : depuis plusieurs années, ça n’arrête pas. Le pire, c’est quand on sait que les mecs paient 3 000 dinars libyens (soient 1 915 €) pour faire la traversée. Dire qu’à ce prix-là, ils pourraient embarquer dans un Costa Croisières. Faut pas s’étonner qu’on les prenne pour des cons quand ils arrivent à nos frontières, après.

 

Je m’approche de l’un des (re)pêcheurs et lui demande un peu contrit : vous avez retrouvé Steve ? Il me regarde sans comprendre avant de baragouiner des excuses parce que d’autres cadavres arrivent. Ces gens n’ont décidément aucun savoir-vivre. Et par-dessus le souk, ils parlent mal français. Mais bon, moi, je m’en fous : on vient de m’apporter une nouvelle piña colada avec une jolie paille parasol.

 

N’empêche, heureusement que tous ces noyés ne sont pas des enfants de gens importants. Sinon, je te raconte pas l’esclandre.

 

Antonin Galano

Son Site : https://perturbateurdendoctrines.wordpress.com/

 

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