Littérature/ Les aventures de Minou et Paddock : N°2 – La tour dévoilée (par Anne Andrée-Roche)
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Les aventures de Minou et Paddock
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Minou avait pris un amant. Il ne valait pas trempette mais il lui présenta Paddock au coin d’un bar. Ils vivent dans les Landes et tous les deux aiment les richesses de ce pays. Je vous livre leurs aventures. Tout n’est pas vrai mais rien n’est faux. Et si un jour, vous passez par Mont-de-Marsan, l’un ou l’autre serait ravi de vous recevoir… Je vous dis l’un ou l’autre car les deux ensemble, c’est intenable !
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La tour dévoilée
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A l’écoute des banalités enregistrées, Minou préféra présenter ses hommages à chaque mannequin, de la salle d’armes à la salle de danse, troquant le lourd camail[3] du combattant pour le large feutre à plumes de D’Artagnan. Pour avoir passé quatre siècles, du 13ème au 17ème siècle, de la débauche d’une joyeuse étuve héritée de la païenne Rome aux mousquetaires d’un absolutisme naissant, l’après-midi tirait à sa fin. Ils étaient des amants audacieux mais assis un moment à l’écart sur quelques madriers d’un bâtiment en construction, Minou et Paddock restaient là côte à côte comme deux collégiens repassant leur leçon, leurs mains sur les genoux, le regard perdu sur la vallée.
Les photos étaient dans la boite. Paddock se demandait peut-être comment ils les exploiteraient. Minou se heurtait au début de son histoire. Elle commençait et se reprenait. Elle finirait bien par s’en sortir d’une pirouette qui donnerait à peu près ceci :
Les vignes de Saint-Mont renoncent à l’immédiat assaut de cette colline-là. Le terroir est une toile tendue entre ses trois points d’ancrage, Saint-Mont, Plaisance et Aignan dont la tour serait la gardienne attentive à ce savoir viticole enraciné ici, bien avant son érection au 13ème siècle.
21 juillet 2019. Les blés sont coupés, la paille enroulée, le foin en ballot. On arrose les maïs, les canons pivotent, répandant l’eau sur la route. Minou aime les plaisirs infantiles, elle refuse de remonter la vitre. Paddock se prête au jeu, sa collègue est insensée, il ne vaut guère mieux, il en a prit son parti. Le chauffeur rétrograde, calculant le bon moment mais sa compagne le hue. Il accélère. Minou salue la prouesse, on est passé à travers les gouttes, elle soupire, elle aurait bien aimé être aspergée, mouillée, trempée, dégoulinante… Elle aurait aimé attendre, plantée dans le bitume comme une mauvaise herbe que le mécanisme aurait fouetté d’une gifle d’eau… Il fait si chaud dans la vallée de l’Adour.
Les épillets des maïs suent leur semence sur les soies d’or cuivré, chevelure encore juvénile. Les champs sont verts, les feuilles souples et les tiges bien fermes. Quelques pièces de tournesols éclatent leurs capitules à l’astre solaire, leurs pétales jaunes réjouissant l’œil du photographe.
La tour se dresse sur son coteau. C’est l’emprise d’une main imposant sa majesté sur les vallées de l’Adour et de l’Arros. Vue de la route, la galerie qui lui barre le front, donne à cet ensemble massif, la sévérité d’une vieille maitresse traquant la leçon oubliée. La construction est un poing levé que Minou avait pris pour une réserve à grains, allez savoir pourquoi ! Elle était souvent passée devant, sans avoir eu l’occasion de la visiter. Paddock en était à sa troisième ascension.
Ce fut d’abord un morceau de bois, une ombre qui dormait, un camaïeu informe de graviers fondu dans la poussière, un mouvement lent attendant presqu’une caresse. C’était en fait une grosse couleuvre qui barrait l’accès à l’accueil. Une cuissarde luisante d’écailles sombres, une masse tranquille, un serpent domestique en quelques sortes, indifférent aux visites, un habitué des lieux depuis plusieurs années. En tête à tête avec le colosse rampant, Minou se figea, prisonnière du tertre. Son cerveau changé en gélatine, analysa mollement la situation. Devant le monstre, ses sandales glissèrent en arrière sur le lit de cailloux, elle ne se raccrocha à rien, il n’y avait rien que cette mauvaise rencontre.
Minou apprit donc à ses dépens qu’il n’est pas nécessaire de courir devant, elle poussa son amant comme il se fut agi d’un mantelet[4]. Paddock ne releva pas l’évènement. Il avait sans doute d’autres préoccupations. Outre l’escalade de cent cinquante marches étroites, le photographe se perdait déjà dans ses calculs de lumière et les réglages de son nouvel appareil. C’est ainsi que l’équipe des assaillants arriva devant la caisse. Pour sa défense, l’hôtesse n’avait que son sourire à opposer. Sans s’émouvoir, elle confirma avec affection que le résident trainant son ventre dans la caillasse était effectivement une vieille compagnie de la tour.
A la première volée de marches, Minou plongea dans le coffre d’habits supposés du 13ème siècle. L’équipée n’aurait pas manqué une occasion de s’amuser. Elle endossa plusieurs costumes, le photographe enchaîna ses prises de vue, il se déchaîna. Son modèle d’occasion releva ces lourds tissus enfilés sur sa robe. Avec la sueur, il était plus aisé de se travestir en gente dame que de s’extirper de toutes ces étoffes empilées électrisant ses cheveux emmêlés, le tout remontant par-dessus sa tête, les bras implorants, emprisonnés dans les manches. Paddock ne se démonta pas. Minou, si un rien l’habillait, d’un rien du tout, elle se retrouva nue, en vérité complètement nue au premier étage du donjon de Termes d’Armagnac.[5]
Des visiteurs descendaient les étroites marches taillées dans la pierre, les contremarches rongées par le temps, les épreuves des paliers freinaient les plus hardis. D’autres achetaient leurs billets d’entrée, s’attardant sur un dépliant… Elle jeta la panoplie dans le coffre, attrapa ses nippes sur le sol pour se réfugier dans la pièce d’à côté. Le temps d’enfiler sa robe, on défilait dans l’étage supérieur, les bruits étaient incertains et les parements de pierre font par endroit des ouvertures offertes aux plus curieux qui rappelaient à Minou, ses petits crimes d’indiscrétions enfantines. Minou avait gardé cette curiosité innocente qu’elle supposait partager avec ses congénères. Elle aimait sentir l’air s’engouffrer dans une fissure. Une porte close sur un danger lui titillait l’imagination. Elle ne put se retenir de lever le loquet d’un battant de la croisée.
Les coussièges[6] de pierre adoucis par de modestes coussins damassés l’invitèrent au repos. Dans l’embrasure, elle oublia son époque, les contraintes de bienséance, les gens qui passent, les intrépides et les trépassés. Le temps d’un mirage, l’air roula sur son visage. Elle releva sa robe sur ses cuisses, la souleva plus haut pour éponger son front salé de sueur. Ce fut la canicule qui s’y engouffra. Elle était à des années-lumière de son compagnon de jeux à la recherche d’un bouton qui lui crevait pourtant les yeux. Mais enfin il était trop tard, Paddock n’avait pas saisi l’instant, l’angle d’attaque. Minou avait traversé la pièce pour le cabinet d’aisance pratiqué dans l’épaisseur de la muraille. Un luxe pour le 13ème, une commodité fait d’un simple trou mais un raffinement charnel que l’obédience à la sainte puissance catholique et apostolique finit par envoyer aux orties avec nos incontournables étrons. Paddock n’aimait pas l’échec, l’occasion ratée.
Il la rejoignit. Dans l’anfractuosité, on avait ajouté un cuvier et quelques accessoires nécessaires à la toilette. Minou venait à peine de remettre à l’endroit, son vêtement enfilé à la hâte et remonter sa chevelure en chignon qu’elle sentit l’objectif de Paddock se mettre en branle. Elle avait le boyau de la rigolade. Elle se prêta aux demandes de son collègue, il faisait si chaud dans ce lieu visité qu’elle ne craignait aucun réel débordement. Minou faisait quelquefois des erreurs de jugement sur ses frères…
Elle lui balança son soutien-gorge que machinalement, le professionnel pris dans l’action de son métier, mit autour du cou. Elle se fichait du tiers comme du quart que Paddock lui vola les postures dont sa salle de bain était depuis son récent veuvage, l’unique confidente. Mais Minou restait aux aguets des inquisiteurs qui divaguaient dans la tour. Il fallait s’y attendre…
Quand un couple triste comme tous les couples usés par le silence, pénétra dans la salle comme ils auraient foulé un champ de patates, Minou repassa alors tous ses cours d’histoire devant Paddock qui écoutait comme un pape souriant aux anges, avec le soutien-gorge de sa consœur en guise d’étole…
On commençait à peine la visite…
Anne Andrée-Roche – 21 juillet 2019
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Anne Andrée-Roche
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