Littérature/ Les aventures de Minou et Paddock : N°4 – Alerte à Tampouy (par Anne Andrée-Roche)
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Les aventures de Minou et Paddock
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Minou avait pris un amant. Il ne valait pas trempette mais il lui présenta Paddock au coin d’un bar. Ils vivent dans les Landes et tous les deux aiment les richesses de ce pays. Je vous livre leurs aventures. Tout n’est pas vrai mais rien n’est faux. Et si un jour, vous passez par Mont-de-Marsan, l’un ou l’autre serait ravi de vous recevoir… Je vous dis l’un ou l’autre car les deux ensemble, c’est intenable !
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Alerte à Tampouy
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Les lourdes branches d’un arbre entravaient le passage. Minou avait déjà la main sur la portière, cherchant vaguement ses chaussures sous le siège… Minou était incapable de supposer un éventuel repli. Elle réservait sa diplomatie à ses contemporains pour les apprivoiser, les mener dans ses projets comme elle l’entendait. Elle aurait eu la souplesse d’un chat pour passer une fenêtre que les portes lui fussent fermées, par le toit même s’il eut fallu. Mais elle ne reculait pas, c’était dans sa nature. Elle ne voyait plus que ces branches, elle ne réfléchissait plus qu’à les dompter.
Paddock était fait d’un autre bois. Il la retint fermement dans l’habitacle avant d’enclencher la marche arrière. Paddock étreignit alors la cuisse de sa partenaire. En vain. Éteinte à toute sensualité, Minou gigotait d’une inutile contrariété. D’un franc gros rire, il lui proposa de contourner l’obstacle tout simplement par les vignes qui longeaient le chemin.
Seule une inscription indiquait aux visiteurs qu’ils avaient franchi un moment auparavant, l’entrée dépouillée du domaine d’Ognoas. C’est un autre monde qu’on ne sent pas franchement vous saisir. C’est une ambiance surannée endossant discrètement les habits de la modernité, des contraintes pour ne pas mourir, une prouesse réussie mais fragile. Si Minou regrettait qu’on ne fêtât pas à sa juste importance, le neuf décembre 1905, la laïcisation du pays, cette loi imposa un héritage plus coûteux que prestigieux au département des Landes. Mais il existe des petits miracles comme celui-ci en est la preuve. Les circonstances empêchèrent que ces terres agricoles, ce témoin ancien soit disloqué en parcelles ou vendu à des marchands de biens sans scrupules. La tentation fut grande mais irréalisable.
C’est un paysage largement ouvert. Y eut-il un jour de ces pins pignons faisant office d’hôtes bienfaisants marquant traditionnellement l’entrée d’une possession ? Passés le muret de briques, Minou avait gravé dans sa mémoire, leur probable ramée fantôme, faute de présence réelle. Minou aimait pactiser avec sa vérité tant qu’elle n’injurie pas l’histoire.
La voiture de Paddock avait alors suivi la longue allée du domaine, ouvert sur plus de cinq cents hectares de jachères organisées, de clairières cultivées et de coteaux chargés de vignes. Les deux collègues avaient ignoré l’éventaire du bâtiment central d’Ognoas, ce n’était ce jour-là pas leur propos. Car en fait, le domaine d’Ognoas s’étend à celui de Tampouy dont les destins furent finalement soudés à un même patrimoine familial de marchands enrichis de Bayonne dont le dernier descendant légua ces terres à l’Évêché jusqu’à finalement leur confiscation en faveur du département.
Dominés par un coteau hérissé de vignes, Tampouy, c’est d’un côté le château, de l’autre, la bergerie. Chaque construction semble posée sur son propre renflement. Paddock avait longtemps cherché ce pont-levis garanti par un fossé encore visible dans l’enfance d’un vieux de sa connaissance. Les époques s’étaient superposées. Les probables remblais et la végétation actuelle plongeant dans le profond dénivelé enserrant sur un tiers le tertre supportant le logis du seigneur, embrouillaient la lecture du site… Minou était à son affaire, elle fit d’abord le tour de la bergerie passant la tête par jeu, à chaque étroite ouverture. Puis elle rejoignit Paddock les mains dans les poches qui progressait déjà dans la poussière de la crèche déserte.
L’ambiance bucolique du lieu raffermissait le mâle ensommeillé un temps par le soleil tardant ses rayons sur ce qui fut jadis une basse-cour. Minou entendait l’enclume du forgeron, une lingère interpellant un gueux portant du bois, tout un monde grouillant de serfs et de paysans remisés dans le passé. D’un grand bond dans les siècles, à la bergerie aujourd’hui endormie comme une belle sur la prairie, Minou lui donna vie avec son fenil ouvert sur la terre battue. A l’âtre, une vieille femme surveillait la garbure, ravaudant grossièrement un bas. Son époux tisonnait les braises. Le pâtre allait rentrer, le père était parti sur la lande râlant contre ces pins qu’on plantait plus au nord.
Paddock rayonnait. Assis sur un vestige de pilier, il n’écoutait plus le roman que Minou brodait, accoudée à la cloison garantissant du bétail, la cuisine pavée. De la vie pastorale, Paddock n’en avait retenu que le rapprochement du berger à ses blanches brebis. Minou ne portait pas de jupons moutonnants mais ses fesses remuaient au rythme de ses passions pour l’histoire, l’architecture et les contes au coin du feu. Paddock s’enflamma comme le chaume brûlant, le chalumeau montant au ciel. Il se voyait déjà accrochant ses grosses pattes à la taille de Minou dont les mains encadraient son visage rêveur. Paddock retint ses instincts charnels presque amoureux car il avait un petit quelque chose pour Minou, un truc qui le titillait au-delà du sexe. En fait, il ne savait pas trop ce qu’il éprouvait pour cette femme imprévisible, insaisissable depuis la mort de son mari. Son désir montait. Il attrapa Minou par le bras et la poussa dehors. Minou le trouva bien cavalier. On avait tout son temps, elle s’amusait bien. Elle se contenta d’un baiser qu’elle lui vola, attisant la soif de Paddock de prendre là sa collègue debout sans autre forme de taquinerie. La prudence combattait le désir.
On passa le guet remblayé de terre pour visiter le château de pierre qui remplissait pratiquement toute la haute cour. Minou s’empressa de s’y engouffrer. Deux cheminées, un luxe, une vie de château à peine pénétrée par la lumière du jour. Le bâtiment portait les cicatrices de son histoire faisant de la place forte, un corps de ferme brisé au besoin du métayage. Les meneaux avaient été tronqués, des ouvertures murées. Un simple blason de stuc au-dessus d’une entrée interdite aux visiteurs signifiait une ancestrale noblesse terrienne.
Ce fut un couple bien ordinaire que surprit un salut prompt, net sans bavure. Minou qui avait reculé dans la première pièce, répondit machinalement, remerciant le ciel de n’avoir pas céder à la tentation. Elle se retourna. Un touriste comme on ne pouvait s’y attendre : un gendarme dans sa gangue, gilet pare-balles et panoplie de défense. L’endroit fut un refuge pour un tueur, un point de rendez-vous pour des trafiquants. Pire encore des squatters sans le sou, la cachette de migrants. Des amants dévoyés méritant la potence. Heula, il y avait méprise. Il n’y avait dans la place qu’un coureur d’images et une tricoteuse de mots. Puis un second uniforme. Etait-on au cœur d’une souricière ? C’était un jeune recru. Puis un troisième, un quatrième. Enfin un cinquième ! Le chef donna le ton. Ils étaient en simple visite de reconnaissance. Fort civilement, il débitait le roman des lieux, un roman que Minou avait lu dans le fascicule édité par le département. Il y avait des choses justes et de probables suppositions n’admettant pas les nuances. Minou s’éclipsa, son approche historique ne faisait pas le poids avec la rigueur confondant les hypothèses à des preuves. Paddock s’imagina le zob pris en délit. Son intuition les avait sauvés de la mise en cabane pour outrage aux bonnes mœurs. Lui, les mains dans les poches, elle, les poings sur les hanches partirent enfin d’un gros rire s’imaginant leurs enfants respectifs venant les délivrer de la prison. Mais il ne s’agissait que de deux petits vieux bras dessus, bras dessous, ni vus, ni connus s’en retournant à la voiture car les vieux dans l’innocence de leur âge, ne baisent pas. Voyons !
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19/08/2019 – Grenade-sur-l’Adour.
Anne Andrée-Roche
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